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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/537

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La folie du nivellement égalitaire qui avait sévi si rudement sur la France pendant toute la période révolutionnaire avait-elle eu — ironie des choses ! — sa répercussion jusque sur les salaires de notre corporation qui avait apporté aux idées nouvelles l’aide la plus précieuse et la plus efficace ? Est-ce à dater de ces années sanglantes que les appointements du correcteur qui avaient été, ainsi que ceux du prote-correcteur, d’un taux toujours fort supérieur à ceux du compagnon, eurent une regrettable tendance à s’égaliser avec la banque du compositeur et de l’imprimeur ? Au cours de ces temps où les esprits se préoccupèrent surtout de questions politiques et patriotiques, la valeur technique et littéraire, en même temps que morale, fut-elle diminuée au point que les intéressés durent accepter les conditions nouvelles imposées par les maîtres ? Nous ne pouvons le supposer[1], car, en 1799, Bertrand-Quinquet écrivait : « Le prote doit toujours être en conscience, et on sent qu’il n’est pas possible autrement, son genre de travail ne pouvant être calculé… Ses soins assidus demandent un traitement supérieur. C’est d’après ses services qu’il faut apprécier justement ce qu’on doit le payer[2]. » On ne saurait certes mieux dire, mais…

Bien que les compagnons imprimeurs — et tout particulièrement les correcteurs — soient encore aujourd’hui, comme ils étaient autrefois, « d’un degré supérieur à leurs camarades des autres métiers » ; bien que la pratique de leur art nécessite à l’heure présente « une instruction » plus étendue que celle rencontrée dans des professions différentes ; bien que personne ne songe « à méconnaître leurs capacités professionnelles et à contester qu’ils méritent d’être avantagés[3] », avec combien de raison et de tristesse ne peut-on songer que les « dolentes » lignes de Couret de Villeneuve sont, en même temps que l’esquisse du passé, la peinture du présent.

  1. À en croire l’opinion de Couret de Villeneuve que nous venons de citer.
  2. Traité de l’Imprimerie. — Au sujet du mot prote employé ici par Bertrand-Quinquet, voir notre observation page 12, note 7.
  3. Ces expressions sont celles de M. Mellottée (voir p. 512). — Il ne semble pas, toutefois, que tous les maîtres imprimeurs aient sur ce même sujet une manière de voir analogue à celle de M. Mellottée. Le lecteur pourra s’en convaincre aisément à la lecture du procès-verbal de la séance tenue, le 20 décembre 1920, par le Comité central de l’Union des Maîtres Imprimeurs, procès-verbal dont nous donnons quelques extraits particulièrement suggestifs, page 554.