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Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/102

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DE PHILIPPE

en dépit de l’électricité : pas de lumières aux façades noires, pas de voitures dans les rues, comme la nuit d’un dimanche chaud, lorsqu’on ne se console pas des cloches si gaies dans ces parages le matin. Ils s’attardaient, surtout Philippe, assez gris maintenant, mais qui espérait quelques sous pour la jaune :

— Tu n’aurais pas de quoi me donner pour que j’aille me coucher ?

— Tiens !

C’est à peine si Philippe leur souhaitait le bonsoir. Pour une fois, il avait honte de rougir. De temps en temps, il prenait conscience ainsi de sa bassesse. Il s’esquiva à pas rapides. Le feu brûlait son visage, il devinait qu’ils disaient : « Il ne se couchera pas, c’est sa dôpe qu’il va aller acheter. On le trouvera mort un de ces jours. » Il les détestait, puis, se ravisant, il songea qu’il n’aimait ni ne haïssait personne. Dans la nuit, dans cette nuit déserte où le ciel s’agrandit sur les quartiers d’affaires avec une pastorale grotesque de lune et d’étoiles, il se voyait si seul qu’il pouvait croire qu’il n’y avait que lui dans cet univers désaffecté, avec la jaune qui le peuplait d’ombres qu’il ne sentait pas. Lui et cet appareil qu’il faisait tourner, ce film froid, ces êtres sans dimensions. Monde aplati, vidé. Et il ne pouvait s’arracher de ça.

Pourtant, après quelques instants de marche exaltée, Philippe se demanda ce qu’il allait