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Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/187

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LA FOLLE EXPÉRIENCE

entré subitement dans le salon, sans qu’elle l’attendît. Elle disait :

— Le piano des petites filles : Le piano des petites filles !

C’était monsieur Godin qui, déplaçant le piano, sous lequel avait roulé une pièce de monnaie, en avait écorché la base. Un crime !

Philippe s’abandonnait. Ses années de collège lui paraissaient délicieuses, lorsque pourtant, dégoûté du manque de goût de ses professeurs et d’une piété que son incroyance taxait d’idolâtrie et de fétichisme en même temps que de moyen trop commode de garder le pouvoir, il avait tout fait pour être premier, en sorte qu’on le laissât tranquille dans ses pensées indépendantes.

La sirène de la voiture semblait moins sinistre à mesure que l’on avançait. Philippe en souriait : c’était, comme lorsque les gamins se mettent à courir sur le passage des pompiers. Les pompiers, comme il en avait eu peur, lorsque, à quinze ans, il se promenait devant le lac et qu’il pensait à son ami Pelland. La veille, les journaux lui avaient appris qu’un incendie avait rasé la moitié de la petite ville de Saint-Sauveur, où habitait son ami Pelland, son premier amour : ce fut bien la seule fois que Philippe versa dans le corydonisme, et en tout platonisme, du reste. Il aima Pelland, parce qu’il avait des manières moins frustes que ses camarades et parce qu’il le battait souvent dans les