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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/19

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Nul, comme Renan, n’a excellé à vêtir de métaphores poétiques, originales, inattendues, et toujours ou presque toujours d’une incomparable justesse, les idées les plus abstraites, les conclusions les plus techniques de la philosophie linguistique. Nul, comme lui, n’a connu ce pouvoir mystérieux des mots, dont on tire, en les associant d’une manière unique, et qui ne semble jamais calculée ni voulue, préparée

    la contradiction consisterait à n’avoir pas toujours autant loué le style d’Ernest Renan. Je pourrais m’honorer du reproche. Et en effet, n’avoir pas attendu la mort d’un Renan pour parler de lui en toute liberté, mais l’avoir fait de son vivant, quand il ne pouvait laisser tomber une ligne de sa plume que les journaux et les salons ne s’écriassent au miracle, c’est une preuve d’indépendance, dont je pourrais me savoir à moi-même quelque gré. Car le contraire est plus fréquent, et l’habitude est d’attendre que le grand homme soit mort, pour lui faire payer chèrement les éloges dont on l’avait longtemps encensé. Je ne puis vraiment, pour effacer mes « contradictions », me repentir ni m’excuser d’avoir été plus indulgent à Renan mort qu’à Renan vivant.

    Après cela, quand j’ai parlé, voilà douze ou quinze ans, de Renan comme écrivain, c’était dans une étude sur les deux premiers volumes de son Histoire d’Israël, où je n’avais point à parler de sa manière d’écrire, en général, mais de la manière dont son Histoire d’Israël est écrite, et je crois, aujourd’hui comme alors, que cette manière n’est pas sa meilleure. Les négligences abondent, malheureusement, dans son Histoire d’Israël, et ce qui est plus grave, les plaisanteries voltairiennes, — « lahvé, une créature d’esprit le plus borné », — les concessions au genre d’esprit qui avait fait la fortune de l’Abbesse de Jouarre, les signes, enfin, de fatigue et de sénilité. Mais depuis quand juge-t-on un grand écrivain sur les œuvres de sa vieillesse ? Voltaire sur son Irène ? ou Chateaubriand sur sa Vie de