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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/24

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ait pu prévaloir un moment contre la vérité.

Ne faisons donc pas difficulté de reconnaître le talent de Renan, et — plus généreux à son égard qu’il ne l’a été pour Bossuet[1], par exemple — ne lui marchandons pas notre admiration. Oui, ce fut un rare écrivain que l’auteur de la Vie de Jésus ; et, moins rare en son genre, il eût assurément fait moins de mal. La profondeur du mal qu’il a fait se mesure exactement à la qualité de son talent. Et ceux qui le reconnaîtront n’en seront pas pour cela désarmés contre lui ; mais, au contraire, c’est eux qui pourront le combattre utilement, avertis qu’ils seront de ne point opposer à une arme d’une trempe ou

  1. On n’a jamais plus mal parlé de Bossuet que Renan, et pour une bonne raison, qui est qu’il ne l’avait jamais lu. L’érudition proprement littéraire de Renan était courte, extrêmement courte, et en dépit, je ne dis pas de son hébreu, mais de son grec, j’oserai dire que ce grand écrivain n’était pas ce qu’on appelle un lettré. Mais il lui suffisait que Bossuet se fût mis en travers du progrès de l’exégèse naissante, et la rancune qu’il lui en gardait s’exaltait en discours jusqu’aux expressions de la haine. Je n’ai pas souvenir, pour ma part, qu’il m’ait jamais parlé de personne avec autant de violence et d’incompétence que de Bossuet. Et il est vrai que, s’il l’eût mieux connu, je doute qu’il eût goûté cette manière d’écrire, la plus éloignée peut-être, en français, avec celle de Pascal, qu’il y ait de la sienne, franche et hardie, plus latine que grecque, scolastique peut-être, sophistique jamais, ennemie de tous raffinements, dense et pleine, oratoire et nombreuse, incomparable de propriété, de justesse et de force.