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Page:Brunetière - Cinq lettres sur Ernest Renan, 1904.djvu/79

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elles-mêmes d’autre raison de vivre que de préparer une fortune au prodigue qui la dissipera, c’est ainsi que, dans le silence et dans l’ombre, elles accumuleraient, aux dépens d’elles-mêmes, le capital d’intelligence dont le surhomme qui naîtra d’elles fera quelque jour largesse à l’humanité tout entière. On nous parle des « fins mystérieuses de la nature » : la nature, mieux connue, n’a qu’un but, comme aussi bien l’histoire, et ce but, c’est la production du « surhomme ». Car, en qui voyons-nous que l’humanité se plaît à se reconnaître ? Est-ce dans le « bon fils », dans le « bon époux », dans le « bon père » des inscriptions funéraires ? Non, mais c’est dans les rares exemplaires d’elle-même qui la dépassent. Qu’importe après cela la misère des uns, la souffrance des autres ? Qu’ils continuent donc de souffrir, de peiner, de travailler pour nous : nous « penserons » et nous « jouirons » pour eux ! Et quel droit auront-ils de s’en plaindre, s’ils ne vivent, en réalité, que de se dévouer à nos jouissances, et si l’amélioration de leur sort ne dépend de rien tant que de l’exercice de notre pensée ? Même Renan ne doute pas qu’ils ne s’en félicitent, et il voit poindre le jour où les foules