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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/473

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doctrine beaucoup plus générale, car Lamarck y ajoutait cette partie essentielle : « Les fonctions résultent des besoins, les besoins proviennent des conditions de milieu dans lesquelles se trouve l’animal. »

L’attention du monde savant fut d’ailleurs détournée de ces considérations et attirée dans une voie que l’on crut être entièrement nouvelle, par la publication d’un livre de Darwin, qui provoqua une sorte de révolution dans le monde scientifique. Darwin rejetait dans les oubliettes du passé et les grandes conceptions de Buffon et la théorie de Lamarck, il expliquait la formation des espèces par un mécanisme, selon lui, entièrement nouveau, que nul avant lui, si l’on veut l’en croire, n’avait soupçonné, et qu’il présentait au monde sous le nom de Sélection.

La théorie de la sélection. Darwin nous informe lui-même qu’il a d’abord fait porter ses méditations et ses recherches sur l’origine des espèces et des variétés d’animaux et de végétaux domestiques. Après avoir dit que la plupart de ces variétés ne peuvent pas être attribuées à la seule action du milieu, il ajoute : « Certaines variations utiles à l’homme se sont probablement produites soudainement, d’autres par degrés ; quelques naturalistes, par exemple, crurent que le chardon à foulon, armé de crochets que ne peut remplacer aucune machine, est tout simplement une variété du Dipsacus sauvage ; or, cette transformation peut s’être manifestée dans un seul semis. Il en a été probablement ainsi pour le chien de Tournebroche ; on sait tout au moins que le mouton Ancon a surgi d’une manière subite. Mais il faut, si l’on compare le cheval de trait et le cheval de course, le dromadaire et le chameau, les diverses races de moutons adaptées, soit aux plaines cultivées, soit aux pâturages des montagnes, et dont la laine, suivant la race, est appropriée tantôt à un usage, tantôt à un autre ; si l’on compare les différentes races de chiens, dont chacune d’elles est utile à l’homme à des points de vue divers ; si l’on compare le coq de combat, si enclin à la bataille, avec d’autres races si pacifiques ; avec les pondeuses perpétuelles qui ne demandent jamais à couver, et avec le coq Bantam, si petit et si élégant ; si l’on considère enfin, cette légion de plantes agricoles et culinaires, les arbres qui encombrent nos vergers, les fleurs qui ornent nos jardins ; les unes si utiles à l’homme en différentes saisons et pour tant d’usages divers, ou seulement agréables à ses yeux, il faut chercher, je crois, quelque chose de plus qu’un simple effet de variabilité. Nous ne pouvons supposer en effet, que toutes ces races ont été soudainement produites avec toute la perfection et toute l’utilité qu’elles ont aujourd’hui ; nous savons même, dans bien des cas, qu’il n’en a pas été ainsi. Le pouvoir de sélection, d’accumulation que possède l’homme, est la clef de ce problème ; la nature fournit les variations successives, l’homme les accumule dans certaines directions qui lui sont utiles. Dans ce sens, on peut dire que l’homme crée à son profit des races utiles. La grande valeur de ce principe de sélection n’est pas hypothétique. Il est certain que plusieurs de nos éleveurs les