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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/102

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grandes choses sans avoir recours à une puissance surnaturelle ou au miracle, d’être arrêté par une circonstance particulière ; aussi notre auteur aime mieux risquer de se noyer avec l’arche que d’attribuer, comme il le devait, à la bonté immédiate du Tout-Puissant la conservation de ce précieux vaisseau.

Je ne ferai qu’une remarque sur ce système dont je viens de faire une exposition fidèle ; c’est que, toutes les fois qu’on sera assez téméraire pour vouloir expliquer par des raisons physiques les vérités théologiques, qu’on se permettra d’interpréter dans des vues purement humaines le texte divin des livres sacrés, et que l’on voudra raisonner sur les volontés du Très-Haut et sur l’exécution de ses décrets, on tombera nécessairement dans les ténèbres et dans le chaos où est tombé l’auteur de ce système, qui cependant a été reçu avec grand applaudissement : il ne doutait ni de la vérité du déluge, ni de l’authenticité des livres sacrés ; mais, comme il s’en était beaucoup moins occupé que de physique et d’astronomie, il a pris les passages de l’Écriture sainte pour des faits de physique et pour des résultats d’observations astronomiques, et il a si étrangement mêlé la science divine avec nos sciences humaines, qu’il en a résulté la chose du monde la plus extraordinaire, qui est le système que nous venons d’exposer.





ARTICLE III

DU SYSTÈME DE M. BURNET[1]



Cet auteur est le premier qui ait traité cette matière généralement et d’une manière systématique ; il avait beaucoup d’esprit et était homme de belles-lettres : son ouvrage a eu une grande réputation, et il a été critiqué par quelques savants, entre autres par M. Keill, qui, épluchant cette matière en géomètre, a démontré les erreurs de Burnet dans un traité qui a pour titre : Examination of the Theory of the Earth (London, 1734, 2e édit.). Ce même M. Keill a aussi réfuté le système de Whiston ; mais il traite ce dernier auteur bien différemment du premier : il semble même qu’il est de son avis dans plusieurs cas, et il regarde comme une chose fort probable le déluge causé par la queue d’une comète. Mais, pour revenir à Burnet, son livre est élégamment écrit ; il sait peindre et présenter avec force de grandes images, et mettre sous les yeux des scènes magnifiques. Son plan est vaste, mais l’exécution manque faute de moyens, son raisonnement est petit, ses preuves sont faibles, et sa confiance est si grande qu’il la fait perdre à son lecteur.

Il commence par nous dire qu’avant le déluge la terre avait une forme très différente de celle que nous lui voyons aujourd’hui. C’était d’abord une masse fluide, un chaos composé de matières de toutes espèces et de toutes sortes de figures ; les plus pesantes descendirent vers le centre et formèrent au milieu du globe un corps dur et solide, autour duquel les eaux plus légères se rassemblèrent et enveloppèrent de tous côtés le globe intérieur ; l’air et toutes les liqueurs plus légères que l’eau la surmontèrent et l’enveloppèrent aussi dans toute la circonférence : ainsi, entre l’orbe de l’air et celui de l’eau, il se forma un orbe d’huile et de liqueur grasse plus légères que l’eau ; mais, comme l’air était encore fort impur et qu’il contenait une très grande quantité de petites particules de matière terrestre, peu à peu ces particules descendirent, tombèrent sur la couche d’huile et formèrent un orbe terrestre mêlé de limon et d’huile, et ce fut là la première

  1. Thomas Burnet. Telluris Theoria sacra, orbis nostri originem et mutationes generales quas aut jam subiit, aut olim subiturus est, complectens. Londini, 1681.