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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/114

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aussi fort éloignés d’avoir une juste mesure de cette circonférence du globe, quoiqu’ils y eussent beaucoup travaillé. Les vents généraux et réglés, et l’usage qu’on en peut faire pour les voyages de long cours, leur étaient aussi absolument inconnus ; ainsi, on ne doit pas être surpris du peu de progrès qu’ils ont fait dans la géographie, puisque aujourd’hui, malgré toutes les connaissances que l’on a acquises par le secours des sciences mathématiques et par les découvertes des navigateurs, il reste encore bien des choses à trouver et de vastes contrées à découvrir. Presque toutes les terres qui sont du côté du pôle antarctique nous sont inconnues : on sait seulement qu’il y en a, et qu’elles sont séparées de tous les autres continents par l’océan ; il reste aussi beaucoup de pays à découvrir du côté du pôle arctique, et l’on est obligé d’avouer, avec quelque espèce de regret, que depuis plus d’un siècle l’ardeur pour découvrir de nouvelles terres s’est extrêmement ralentie ; on a préféré, et peut-être avec raison, l’utilité qu’on a trouvée à faire valoir celles qu’on connaissait à la gloire d’en conquérir de nouvelles.

Cependant la découverte de ces terres australes serait un grand objet de curiosité, et pourrait être utile ; on n’a reconnu de ce côté-là que quelques côtes, et il est fâcheux que les navigateurs qui ont voulu tenter cette découverte en différents temps aient presque toujours été arrêtés par des glaces qui les ont empêchés de prendre terre. La brume, qui est fort considérable dans ces parages, est encore un obstacle : cependant, malgré ces inconvénients, il est à croire qu’en partant du cap de Bonne-Espérance en différentes saisons, on pourrait enfin reconnaître une partie de ces terres, lesquelles jusqu’ici font un monde à part.

Il y aurait encore un autre moyen qui peut-être réussirait mieux ; comme les glaces et les brumes paraissent avoir arrêté tous les navigateurs qui ont entrepris la découverte des terres australes par l’océan Atlantique, et que les glaces se sont présentées dans l’été de ces climats aussi bien que dans les autres saisons, ne pourrait-on pas se promettre un meilleur succès en changeant de route ? Il me semble qu’on pourrait tenter d’arriver à ces terres par la mer Pacifique, en partant de Baldivia ou d’un autre port de la côte du Chili, et traversant cette mer sous le 50e degré de latitude sud. Il n’y a aucune apparence que cette navigation, qui n’a jamais été faite, fût périlleuse, et il est probable qu’on trouverait dans cette traversée de nouvelles terres ; car ce qui nous reste à connaître du côté du pôle austral est si considérable, qu’on peut, sans se tromper, l’évaluer à plus du quart de la superficie du globe, en sorte qu’il peut y avoir dans ces climats un continent terrestre aussi grand que l’Europe, l’Asie et l’Afrique prises toutes trois ensemble. Comme nous ne connaissons point du tout cette partie du globe, nous ne pouvons pas savoir au juste la proportion qui est entre la surface de la terre et celle de la mer ; seulement, autant qu’on en peut juger par l’inspection de ce qui est connu, il paraît qu’il y a plus de mer que de terre.

Si l’on veut avoir une idée de la quantité énorme d’eau que contiennent les mers, on peut supposer une profondeur commune et générale à l’océan, et, en ne la faisant que de deux cents toises ou de la dixième partie d’une lieue, on verra qu’il y a assez d’eau pour couvrir le globe entier d’une hauteur de six cents pieds d’eau ; et si on veut réduire cette eau dans une seule masse, on trouvera qu’elle fait un globe de plus de soixante lieues de diamètre.

Les navigateurs prétendent que le continent des terres australes est beaucoup plus froid que celui du pôle arctique ; mais il n’y a aucune apparence que cette opinion soit fondée, et probablement elle n’a été adoptée des voyageurs, que parce qu’ils ont trouvé des glaces à une latitude où l’on n’en trouve presque jamais dans nos mers septentrionales, mais cela peut venir de quelques causes particulières. On ne trouve plus de glaces dès le mois d’avril en deçà des 67e et 68e degrés de latitude septentrionale, et les sauvages de l’Acadie et du Canada disent que, quand elles ne sont pas toutes fondues dans ce