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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/16

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à ce degré d’intelligence et de mémoire qui suffit à la société ou aux affaires ordinaires ; mais c’est à la nature à qui on doit cette première étincelle de génie, ce germe de goût dont nous parlons, qui se développe ensuite plus ou moins, suivant les différentes circonstances et les différents objets.

Aussi doit-on présenter à l’esprit des jeunes gens des choses de toute espèce, des études de tout genre, des objets de toute sorte, afin de reconnaître le genre auquel leur esprit se porte avec plus de force, ou se livre avec plus de plaisir : l’histoire naturelle doit leur être présentée à son tour, et précisément dans ce temps où la raison commence à se développer, dans cet âge où ils pourraient commencer à croire qu’ils savent déjà beaucoup ; rien n’est plus capable de rabaisser leur amour-propre, et de leur faire sentir combien il y a de choses qu’ils ignorent ; et indépendamment de ce premier effet qui ne peut qu’être utile, une étude même légère de l’histoire naturelle élèvera leurs idées et leur donnera des connaissances d’une infinité de choses que le commun des hommes ignore, et qui se retrouvent souvent dans l’usage de la vie.

Mais revenons à l’homme qui veut s’appliquer sérieusement à l’étude de la nature, et reprenons-le au point où nous l’avons laissé, à ce point où il commence à généraliser ses idées, et à se former une méthode d’arrangement et des systèmes d’explication : c’est alors qu’il doit consulter les gens instruits, lire les bons auteurs, examiner leurs différentes méthodes, et emprunter des lumières de tous côtés. Mais comme il arrive ordinairement qu’on se prend alors d’affection et de goût pour certains auteurs, pour une certaine méthode, et que souvent, sans un examen assez mûr, on se livre à un système quelquefois mal fondé, il est bon que nous donnions ici quelques notions préliminaires sur les méthodes qu’on a imaginées pour faciliter l’intelligence de l’histoire naturelle : ces méthodes sont très utiles, lorsqu’on ne les emploie qu’avec les restrictions convenables ; elles abrègent le travail, elles aident la mémoire, et elles offrent à l’esprit une suite d’idées, à la vérité composée d’objets différents entre eux, mais qui ne laissent pas d’avoir des rapports communs, et ces rapports forment des impressions plus fortes que ne pourraient faire des objets détachés qui n’auraient aucune relation. Voilà la principale utilité des méthodes, mais l’inconvénient est de vouloir trop allonger ou trop resserrer la chaîne, de vouloir soumettre à des lois arbitraires les lois de la nature, de vouloir la diviser dans des points où elle est indivisible[NdÉ 1], et de vouloir mesurer ses forces par notre faible imagination. Un autre inconvénient qui n’est pas moins grand, et qui est le contraire

  1. Cette pensée est l’une des plus exactes et des plus riches en conséquences qui aient été formulées par Buffon. Toutes les méthodes qui ont été imaginées dans le but de classer les objets naturels sont, en effet, tombées nécessairement dans le reproche que leur fait Buffon de diviser la nature dans des points où elle est indivisible. Quelques prétentions qu’aient la plupart des méthodes de classification à être « naturelles, » elles ne sont jamais que des produits artificiels de notre esprit.