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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/208

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sur les lois du mouvement des eaux et l’égalité de l’action des fluides, et il nous serait facile de démontrer la cause de cet effet, mais il nous suffit ici qu’il soit général et universellement reconnu, et que tout le monde puisse s’assurer par ses yeux que toutes les fois que le bord d’une rivière fait une avance dans les terres, que je suppose à main gauche, l’autre bord fait au contraire une avance hors des terres à main droite.

Dès lors les courants de la mer, qu’on doit regarder comme de grands fleuves ou des eaux courantes, sujettes aux mêmes lois que les fleuves de la terre, formeront de même dans l’étendue de leur cours plusieurs sinuosités dont les avances ou les angles seront rentrants d’un côté et saillants de l’autre côté ; et, comme les bords de ces courants sont les collines et les montagnes qui se trouvent au-dessous ou au-dessus de la surface des eaux, ils auront donné à ces éminences cette même forme qu’on remarque aux bords des fleuves : ainsi on ne doit pas s’étonner que nos collines et nos montagnes, qui ont été autrefois couvertes des eaux de la mer et qui ont été formées par le sédiment des eaux, aient pris par le mouvement des courants cette figure régulière, et que tous les angles en soient alternativement opposés ; elles ont été les bords des courants ou des fleuves de la mer, elles ont donc nécessairement pris une figure et des directions semblables à celles des bords des fleuves de la terre, et par conséquent toutes les fois que le bord à main gauche aura formé un angle rentrant, le bord à main droite aura formé un angle saillant, comme nous l’observons dans toutes les collines opposées.

Cela seul, indépendamment des autres preuves que nous avons données, suffirait pour faire voir que la terre de nos continents a été autrefois sous les eaux de la mer ; et l’usage que je fais de cette observation de la correspondance des angles des montagnes et la cause que j’en assigne me paraissent être des sources de lumière et de démonstration dans le sujet dont il est question ; car ce n’était point assez que d’avoir prouvé que les couches extérieures de la terre ont été formées par les sédiments de la mer, que les montagnes se sont élevées par l’entassement successif de ces mêmes sédiments, qu’elles sont composées de coquilles et d’autres productions marines, il fallait encore rendre raison de cette régularité de figure des collines dont les angles sont correspondants, et en trouver la vraie cause, que personne jusqu’à présent n’avait même soupçonnée, et qui cependant, étant réunie avec les autres, forme un corps de preuves aussi complet qu’on puisse en avoir en physique, et fournit une théorie appuyée sur des faits et indépendante de toute hypothèse sur un sujet qu’on n’avait jamais tenté par cette voie, et sur lequel il paraissait avoué qu’il était permis, et même nécessaire, de s’aider d’une infinité de suppositions et d’hypothèses gratuites, pour pouvoir dire quelque chose de conséquent et de systématique.

Les principaux courants de l’océan sont ceux qu’on a observés dans la mer Atlantique près de la Guinée ; ils s’étendent depuis le cap Vert jusqu’à la baie de Fernandopo ; leur mouvement est d’occident en orient, et il est contraire au mouvement général de la mer qui se fait d’orient en occident : ces courants sont fort violents, en sorte que les vaisseaux peuvent venir en deux jours de Moura à Rio-de-Bénin, c’est-à-dire faire une route de plus de 150 lieues, et il leur faut six ou sept semaines pour y retourner ; ils ne peuvent même sortir de ces parages qu’en profitant des vents orageux qui s’élèvent tout à coup dans ces climats ; mais il y a des saisons entières pendant lesquelles ils sont obligés de rester, la mer étant continuellement calme, à l’exception du mouvement des courants qui est toujours dirigé vers les côtes dans cet endroit : ces courants ne s’étendent guère qu’à 20 lieues de distance des côtes. Auprès de Sumatra il y a des courants rapides qui coulent du midi vers le nord, et qui probablement ont formé le golfe qui est entre Malaye et l’Inde : on trouve des courants semblables entre l’île de Java et la terre de Magellan ; il y a aussi de très grands courants entre le cap de Bonne-Espérance et l’île de Madagascar, et surtout sur la côte d’Afrique, entre la terre de Natal et le Cap ; dans