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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/305

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Je suis entièrement du même avis que cet habile navigateur, et je ne crois pas que l’expédition au pôle puisse se renouveler avec succès, ni qu’on arrive jamais au delà du 82 ou 83e degré. On assure qu’un vaisseau du port de Whilby, vers la fin du mois d’avril 1774, a pénétré jusqu’au 80e degré sans trouver de glaces assez fortes pour gêner la navigation. On cite aussi un capitaine Robinson, dont le journal fait foi qu’en 1773 il a atteint le 81° 30′. Et enfin on cite un vaisseau de guerre hollandais, qui protégeait les pêcheurs de cette nation, et qui s’est avancé, dit-on, il y a cinquante ans, jusqu’au 88e degré. Le docteur Campbell, ajoute-t-on, tenait ce fait d’un certain docteur Daillie, qui était à bord du vaisseau et qui professait la médecine à Londres en 1745[1]. C’est probablement le même navigateur que j’ai cité moi-même sous le nom du capitaine Mouton ; mais je doute beaucoup de la réalité de ce fait, et je suis maintenant très persuadé qu’on tenterait vainement d’aller au delà du 82 ou 83e degré, et que, si le passage par le nord est possible, ce ne peut être qu’en prenant la route de la baie d’Hudson.

Voici ce que dit à ce sujet le savant et ingénieux auteur de l’Histoire des deux Indes : « La baie d’Hudson a été longtemps regardée, et on la regarde encore comme la route la plus courte de l’Europe aux Indes orientales et aux contrées les plus riches de l’Asie.

» Ce fut Cabot qui, le premier, eut l’idée d’un passage par le nord-ouest à la mer du Sud. Ses succès se terminèrent à la découverte de l’île de Terre-Neuve. On vit entrer dans la carrière après lui un grand nombre de navigateurs anglais. Ces mémorables et hardies expéditions eurent plus d’éclat que d’utilité. La plus heureuse ne donna pas la moindre conjecture sur le but qu’on se proposait. On croyait enfin que c’était courir après des chimères, lorsque la découverte de la baie d’Hudson ranima les espérances prêtes à s’éteindre.

» À cette époque une ardeur nouvelle fait recommencer les travaux, et enfin arrive la fameuse expédition de 1746, d’où l’on voit sortir quelques clartés après des ténèbres profondes qui duraient depuis deux siècles. Sur quoi les derniers navigateurs fondent-ils de meilleures espérances ? D’après quelles expériences osent-ils former leurs conjectures ? C’est ce qui mérite une discussion.

» Trois vérités dans l’histoire de la nature doivent passer désormais pour démontrées. La première est que les marées viennent de l’Océan, et qu’elles entrent plus ou moins avant dans les autres mers, à proportion que ces divers canaux communiquent avec le grand réservoir par des ouvertures plus ou moins considérables : d’où il s’ensuit que ce mouvement périodique n’existe point ou ne se fait presque pas sentir dans la Méditerranée, dans la Baltique et dans les autres golfes qui leur ressemblent. La seconde vérité de fait est que les marées arrivent plus tard et plus faibles dans les lieux éloignés de l’Océan que dans les endroits qui le sont moins. La troisième est que les vents violents qui soufflent avec la marée la font remonter au delà de ses bornes ordinaires, et qu’ils la retardent en la diminuant, lorsqu’ils soufflent dans un sens contraire.

» D’après ces principes, il est constant que si la baie d’Hudson était un golfe enclavé dans des terres, et qu’il ne fût ouvert qu’à la mer Atlantique, la marée y devrait être peu marquée, qu’elle devrait s’affaiblir en s’éloignant de sa source, et qu’elle devrait perdre de sa force lorsqu’elle aurait à lutter contre les vents. Or il est prouvé par des observations faites avec la plus grande intelligence, avec la plus grande précision, que la marée s’élève à une plus grande hauteur dans toute l’étendue de la baie. Il est prouvé qu’elle s’élève à une plus grande hauteur au fond de la baie que dans le détroit même ou au voisinage. Il est prouvé que cette hauteur augmente encore lorsque les vents

  1. Gazette de Littérature, etc., du 9 août 1774, no 61.