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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/437

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sont prodigieusement différents et d’autant plus inégaux qu’on s’avance plus vers les zones froides ? voilà la question ; le fait est vrai, mais l’explication qu’en donne l’habile physicien que je viens de citer me paraît plus que gratuite ; elle nous renvoie directement aux causes finales qu’il croyait éviter, car n’est-ce pas nous dire, pour toute explication, que le soleil et la terre ont d’abord été dans un état tel que la chaleur de l’un pouvait cuire les couches extérieures de l’autre, et les durcir précisément à un tel degré que les émanations de la chaleur terrestre trouveraient toujours des obstacles à leur sortie, qui seraient exactement en proportion des facilités avec lesquelles la chaleur du soleil arrive à chaque climat ; que de cette admirable contexture des couches de la terre qui permettent plus ou moins l’issue des émanations du feu central il résulte sur la surface de la terre une compensation exacte de la chaleur solaire et de la chaleur terrestre, ce qui néanmoins rendait les hivers égaux partout aussi bien que les étés ; mais que, dans la réalité, comme il n’y a que les étés d’égaux dans tous les climats et que les hivers y sont, au contraire, prodigieusement inégaux, il faut bien que ces obstacles, mis à la liberté des émanations centrales, soient encore plus grands qu’on ne vient de les supposer, et qu’ils soient, en effet, et très réellement dans la proportion qu’exige l’inégalité des hivers des différents climats ? Or qui ne voit que ces petites combinaisons ne sont point entrées dans le plan du souverain Être, mais seulement dans la tête du physicien, qui, ne pouvant expliquer cette égalité des étés et cette inégalité des hivers, a eu recours à deux suppositions qui n’ont aucun fondement, et à des combinaisons qui n’ont pu même à ses yeux avoir d’autre mérite que celui de s’accommoder à sa théorie, et de ramener, comme il le dit, cette égalité surprenante des étés à un principe intelligible ! Mais ce principe une fois entendu n’est qu’une combinaison de deux suppositions, qui toutes deux sont de l’ordre de celles qui rendraient possible l’impossible, et dès lors présenteraient en effet l’absurde comme intelligible.

Tous les physiciens qui se sont occupés de cet objet conviennent avec moi que le globe terrestre possède en propre une chaleur indépendante de celle qui lui vient du soleil : dès lors, n’est-il pas évident que cette chaleur propre serait égale sur tous les points de la surface du globe, abstraction faite de celle du soleil, et qu’il n’y aurait d’autre différence à cet égard que celle qui doit résulter du renflement de la terre à l’équateur, et de son aplatissement sous les pôles, différence qui, étant en même raison à peu près que les deux diamètres, n’excède pas 1/230 ; en sorte que la chaleur propre du sphéroïde terrestre doit être de 1/230 plus grande sous l’équateur que sous les pôles. La déperdition qui s’en est faite et le temps du refroidissement doit donc avoir été plus prompt dans les climats septentrionaux ; l’épaisseur du globe est moins grande que dans les climats du midi, mais cette différence de 1/230 ne peut pas produire celle de l’inégalité des émanations centrales, dont le rapport à la chaleur du soleil en hiver étant : : 50 : 1 dans les climats voisins de l’équateur, se trouve déjà double au 27e degré, triple au 35e, quadruple au 40e, décuple au 49e et 35 fois plus grand au 60e degré de latitude. Cette cause qui se présente la première contribue au froid des climats septentrionaux, mais elle est insuffisante pour le fait de l’inégalité des hivers, puisque cet effet serait 35 fois plus grand que sa cause au 60e degré, plus grand encore et même plus excessif dans les climats voisins du pôle, et qu’en même temps il ne serait nulle part proportionnel à cette même cause.

D’autre côté, ce serait sans aucun fondement qu’on voudrait soutenir que dans un globe qui a reçu ou qui possède un certain degré de chaleur, il pourrait y avoir des parties beaucoup moins chaudes les unes que les autres. Nous connaissons assez le progrès de la chaleur et les phénomènes de sa communication pour être assurés qu’elle se distribue toujours également, puisqu’en appliquant un corps, même froid, sur un corps chaud, celui-ci communiquera nécessairement à l’autre assez de chaleur pour que tous deux soient bientôt au même degré de température. L’on ne doit donc pas supposer qu’il y ait vers le climat des pôles des couches de matières moins chaudes, moins perméables à la chaleur que dans les autres