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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/44

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sible de la définir généralement, il fallait, comme nous venons de le faire, en distinguer les genres afin de s’en former une idée nette.

Je ne parlerai pas des autres ordres de vérités ; celles de la morale, par exemple, qui sont en partie réelles et en partie arbitraires, demanderaient une longue discussion qui nous éloignerait de notre but, et cela d’autant plus qu’elles n’ont pour objet et pour fin que des convenances et des probabilités[NdÉ 1].

L’évidence mathématique et la certitude physique sont donc les deux seuls points sous lesquels nous devons considérer la vérité ; dès qu’elle s’éloignera de l’une ou de l’autre, ce n’est plus que vraisemblance et probabilité. Examinons donc ce que nous pouvons savoir de science évidente ou certaine, après quoi nous verrons ce que nous ne pouvons connaître que par conjecture, et enfin ce que nous devons ignorer.

Nous savons ou nous pouvons savoir de science évidente toutes les propriétés ou plutôt tous les rapports des nombres, des lignes, des surfaces et de toutes les autres quantités abstraites ; nous pourrons les savoir d’une manière plus complète à mesure que nous nous exercerons à résoudre de nouvelles questions, et d’une manière plus sûre à mesure que nous rechercherons les causes des difficultés. Comme nous sommes les créateurs de cette science, et qu’elle ne comprend absolument rien que ce que nous avons nous-mêmes imaginé, il ne peut y avoir ni obscurités ni paradoxes qui soient réels ou impossibles, et on en trouvera toujours la solution en examinant avec soin les principes supposés et en suivant toutes les démarches qu’on a faites pour y arriver ; comme les combinaisons de ces principes et des façons de les employer sont innombrables, il y a dans les mathématiques un champ d’une immense étendue de connaissances acquises et à acquérir, que nous serons toujours les maîtres de cultiver quand nous voudrons, et dans lequel nous recueillerons toujours la même abondance de vérités.

Mais ces vérités auraient été perpétuellement de pure spéculation, de simple curiosité et d’entière inutilité, si on n’avait pas trouvé les moyens de les associer aux vérités physiques ; avant que de considérer les avantages de cette union, voyons ce que nous pouvons espérer de savoir en ce genre.

Les phénomènes qui s’offrent tous les jours à nos yeux, qui se succèdent et se répètent sans interruption et dans tous les cas, sont le fondement de nos connaissances physiques. Il suffit qu’une chose arrive toujours de la même façon pour qu’elle fasse une certitude ou une vérité pour nous ; tous les faits de la nature que nous avons observés, ou que nous pourrons observer, sont autant de vérités, ainsi nous pouvons en augmenter le nombre autant qu’il nous plaira, en multipliant nos observations ; notre science n’est ici bornée que par les limites de l’univers.

  1. Pensée très hardie pour l’époque à laquelle écrivait Buffon.