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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 2.pdf/99

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altérations et tous les changements arrivés à la surface et à l’intérieur du globe ; il adopte aveuglément les hypothèses de Woodward, et se sert indistinctement de toutes les observations de cet auteur au sujet de l’état présent du globe ; mais il y ajoute beaucoup lorsqu’il vient à traiter de l’état futur de la terre ; selon lui, elle périra par le feu, et sa destruction sera précédée de tremblements épouvantables, de tonnerres et de météores effroyables ; le soleil et la lune auront l’aspect hideux, les cieux paraîtront s’écrouler, l’incendie sera général sur la terre ; mais, lorsque le feu aura dévoré tout ce qu’elle contient d’impur, lorsqu’elle sera vitrifiée et transparente comme le cristal, les saints et les bienheureux viendront en prendre possession pour l’habiter jusqu’au temps du jugement dernier.

Toutes ces hypothèses semblent, au premier coup d’œil, être autant d’assertions téméraires, pour ne pas dire extravagantes ; cependant l’auteur les a maniées avec tant d’adresse, et les a réunies avec tant de force, qu’elles cessent de paraître absolument chimériques : il met dans son sujet autant d’esprit et de science qu’il peut en comporter, et on sera toujours étonné que, d’un mélange d’idées aussi bizarres et aussi peu faites pour aller ensemble, on ait pu tirer un système éblouissant ; ce n’est pas même aux esprits vulgaires, c’est aux yeux des savants qu’il paraîtra tel, parce que les savants sont déconcertés plus aisément que le vulgaire par l’étalage de l’érudition, et par la force et la nouveauté des idées. Notre auteur était un astronome célèbre, accoutumé à voir le ciel en raccourci, à mesurer les mouvements des astres, à compasser les espaces des cieux ; il n’a jamais pu se persuader que ce petit grain de sable, cette terre que nous habitons, ait attiré l’attention du Créateur au point de l’occuper plus longtemps que le ciel et l’univers entier, dont la vaste étendue contient des millions de millions de soleils et de terres. Il prétend donc que Moïse ne nous a pas donné l’histoire de la première création, mais seulement le détail de la nouvelle forme que la terre a prise, lorsque la main du Tout-Puissant l’a tirée du monde des comètes pour la faire planète, ou, ce qui revient au même, lorsque, d’un monde en désordre et d’un chaos informe, il en a fait une habitation tranquille et un séjour agréable ; les comètes sont en effet sujettes à des vicissitudes terribles, à cause de l’excentricité de leurs orbites ; tantôt, comme dans celle de 1680, il y fait mille fois plus chaud qu’au milieu d’un brasier ardent, tantôt il y fait mille fois plus froid que dans la glace, et elles ne peuvent guère être habitées que par d’étranges créatures, ou, pour trancher court, elles sont inhabitées.

Les planètes, au contraire, sont des lieux de repos où, la distance au soleil ne variant pas beaucoup, la température reste à peu près la même, et permet aux espèces de plantes et d’animaux de croître, de durer et de multiplier.

Au commencement, Dieu créa donc l’Univers ; mais, selon notre auteur, la terre confondue avec les autres astres errants n’était alors qu’une comète inhabitable, souffrant alternativement l’excès du froid et du chaud, dans laquelle les matières se liquéfiant, se vitrifiant, se glaçant tour à tour, formaient un chaos, un abîme enveloppé d’épaisses ténèbres, et tenebræ erant super faciem abyssi. Ce chaos était l’atmosphère de la comète qu’il faut se représenter comme un corps composé de matières hétérogènes, dont le centre était occupé par un noyau sphérique, solide et chaud, d’environ deux mille lieues de diamètre, autour duquel s’étendait une très grande circonférence d’un fluide épais, mêlé d’une matière informe, confuse, telle qu’était l’ancien chaos, rudis indigestaque moles. Cette vaste atmosphère ne contenait que fort peu de parties sèches, solides ou terrestres, encore moins de particules aqueuses ou aériennes, mais une grande quantité de matières fluides, denses et pesantes, mêlées, agitées et confondues ensemble. Telle était la terre, la veille des six jours ; mais dès le lendemain, c’est-à-dire dès le premier jour de la création, lorsque l’orbite excentrique de la comète eut été changée en une ellipse presque circulaire, chaque chose prit sa place, et les corps s’arrangèrent suivant la loi de leur