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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/115

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Nous devons encore citer ici d’autres pierres en blocs, qui d’abord étaient liées ensemble par des terres durcies, et qui se sont ensuite séparées lorsque ce ciment terreux a été dissous ou délayé par les éléments humides : on trouve dans le lit de plusieurs rivières un très grand nombre de ces pierres calcaires arrondies en petit ou gros volume, et à des distances considérables des montagnes dont elles sont descendues[1].

Et c’est à cette même interposition de matière terreuse entre ces blocs en débris qu’on doit attribuer l’origine des pierres trouées qu’on rencontre si communément dans les petites gorges et vallons où les eaux ont autrefois coulé en ruisseaux, qui depuis ont tari ou ne coulent plus que pendant une partie de l’année : ces eaux ont peu à peu délayé la terre contenue dans tous les intervalles de la masse de ces pierres qui se présentent actuellement avec tous leurs vides, souvent trop grands pour qu’elles puissent être employées dans la maçonnerie. Ces pierres à grands trous ne peuvent aussi être taillées régulièrement ; elles se brisent sous le marteau, et tiennent ordinairement plus ou moins de la mauvaise qualité de la roche morte, qui se divise par écailles ou en morceaux irréguliers. Mais lorsque ces pierres ne sont percées que de petits trous de quelques lignes de diamètre, on les préfère pour bâtir, parce qu’elles sont plus légères et qu’elles reçoivent et saisissent mieux le mortier que les pierres pleines.

Il y a dans le genre calcaire, comme dans le genre vitreux, des pierres vives et d’autres qu’on peut appeler mortes, parce qu’elles ont perdu les principes de leur solidité et qu’elles sont en partie décomposées : ces roches mortes se trouvent le plus souvent au pied des collines, et environnent leur base à quelques toises de hauteur et d’épaisseur, au delà desquelles on trouve la roche vive sur le même niveau ; ce qui suffit pour démontrer que cette roche aujourd’hui morte était jadis aussi vive que l’autre, mais qu’étant exposée aux impressions de l’air, de la gelée et des pluies, elle a subi les différentes altérations qui résultent de leur action longtemps continuée, et qui tendent toutes à la désunion de leurs parties constituantes, soit en interrompant leur continuité, soit en décomposant leur substance.

On voit déjà que quoiqu’en général toutes les pierres calcaires aient une première origine commune, et que toutes soient essentiellement de la même nature, il y a de grandes différences entre elles pour les temps de leur formation et une diversité encore plus grande dans leurs qualités particulières. Nous avons parlé des différents degrés de leur dureté, qui s’étendent de la craie jusqu’au marbre : la craie, dans ses couches supérieures, est souvent plus tendre que l’argile sèche, et le marbre le plus dur ne l’est jamais autant, à beaucoup près, que le quartz ou le jaspe : entre ces deux extrêmes, on trouve toutes les nuances du plus ou moins de dureté dans les pierres calcaires, soit de première, soit de seconde ou de troisième formation, car dans ces dernières carrières on rencontre quelquefois des lits de pierre aussi dure que dans les couches anciennes, comme la pierre de liais, qui se tire dans les environs de Paris, et dont la dureté vient de ce qu’elle est surmontée de plusieurs bancs d’autres pierres dont elle a reçu les sucs pétrifiants.

Le plus ou moins de dureté des pierres dépend de plusieurs circonstances, dont la première est celle de leur situation au-dessous d’une plus ou moins grande épaisseur d’autres pierres ; et la seconde, la finesse des grains et la pureté des matières dont elles sont formées, leur force d’affinité s’étant exercée avec d’autant plus de puissance que la matière était plus pure, et que les grains se sont trouvés plus fins ; c’est à cette cause qu’il faut attribuer la première solidité de ces pierres, et cette solidité se sera ensuite fort

  1. Dans le Rhône et dans les rivières et ruisseaux qui descendent du mont Jura, dont tous les contours sont de pierres calcaires jusqu’à une grande hauteur, on trouve une très grande quantité de ces pierres calcaires arrondies à plusieurs lieues de distance de ces montagnes.