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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/127

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celui qui lie les grains de ce gros gravier de la pierre à four n’est pas apparent, et peut-être est-il d’une autre nature ou en moindre quantité que le ciment spathique ; on pourrait croire que c’est un extrait de la matière ferrugineuse qui a lié ces grains en même temps qu’elle leur a donné la couleur[1], ou bien ce ciment, qui n’a pu se former que par la filtration de l’eau pluviale à travers la couche de terre végétale, est un produit de ces mêmes parties ferrugineuses et pyriteuses, provenant de la dissolution des pyrites qui se sont effleuries par l’humidité dans cette terre végétale ; car cette pierre à four, lorsqu’on la travaille, répand une odeur de soufre encore plus forte que celle des autres pierres. Quoi qu’il en soit, cette pierre à four, dont les grains sont gros et pesants, et dont la masse est néanmoins assez légère par la grandeur de ses vides, résiste sans se fendre au feu où les autres s’éclatent subitement : aussi l’emploie-t-on de préférence pour les âtres des fourneaux, les gueules de four, les contre-cœurs de cheminée, etc.

Enfin l’on trouve, au pied et sur la pente douce des collines calcaires, d’autres amas de gravier ou d’un sable plus fin, dans lesquels il s’est formé plusieurs lits de pierres inclinées suivant la pente du terrain, et qui se délitent très aisément selon cette même inclinaison : ces pierres ne contiennent point de coquilles et sont évidemment d’une formation nouvelle ; leurs bancs inclinés n’ont guère plus d’un pied d’épaisseur et se divisent aisément en moellons plats, dont les deux surfaces sont unies ; ces pierres parasites ont été nouvellement formées par l’agrégation de ces sables ou graviers, et elles ne sont ni dures ni pesantes, parce qu’elles n’ont pas été pénétrées du suc pétrifiant, comme les pierres anciennes qui sont posées sous des bancs d’autres pierres.

La dureté, la pesanteur et la résistance à l’action de la gelée dans les pierres, dépend donc principalement de la grande quantité de suc lapidifique dont elles sont pénétrées ; leur résistance au feu suppose au contraire des pores très ouverts et même d’assez grands vides entre leurs parties constituantes ; néanmoins plus les pierres sont denses, plus il faut de temps pour les convertir en chaux : ce n’est donc pas que la pierre à four se calcine plus difficilement que les autres, ce n’est pas qu’elle ne se réduise également en chaux, mais c’est parce qu’elle se calcine sans se fendre, sans s’écailler ni tomber en fragments, qu’elle a de l’avantage sur les autres pierres pour être employée aux fours et aux fourneaux, et il est aisé de voir pourquoi ces pierres en se calcinant ne se divisent ni ne s’égrènent ; cela vient de ce que les vides, disséminés en grand nombre dans toute leur masse, donnent à chaque grain, dilaté par la chaleur, la facilité de se gonfler, s’étendre et occuper plus d’espace sans forcer les autres grains à céder leur place, au lieu que dans les pierres pleines, la dilatation causée par la chaleur ne peut renfler les grains sans faire fendre la masse en d’autant plus d’endroits qu’elle sera plus solide.

Ordinairement les pierres tendres sont blanches, et celles qui sont plus dures ont des teintes de quelques couleurs ; les grises et les jaunâtres, celles qui ont une nuance de rouge, de bleu, de vert, doivent toutes ces couleurs au fer ou à quelque autre minéral qui est entré dans leur composition ; et c’est surtout dans les marbres que l’on voit toutes les variétés possibles des plus belles couleurs : les minéraux métalliques ont teint et imprégné la substance de toutes ces pierres colorées dès le premier temps de leur formation ; car la pierre rousse même, dont on attribue la couleur aux parties ferrugineuses de la couche végétale, se trouve souvent fort au-dessous de cette couche et surmontée de plu-

  1. Il me semble qu’on pourrait rapporter à notre pierre à four celle qu’on nomme roussier en Normandie. « C’est, dit M. Guettard, une pierre graveleuse et dont il y a des carrières aux environs de la Trappe… Ces pierres sont d’un jaune rouille de fer ; ce sont des amas de gros sable ou de gravier liés par une matière ferrugineuse qui a été dissoute, et qui s’est filtrée et déposée entre les grains qui composent maintenant ces pierres par leur réunion. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1763, p. 81.