Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous les albâtres sont susceptibles d’un poli plus ou moins brillant ; mais on ne peut polir les albâtres tendres qu’avec des matières encore plus tendres et surtout avec de la cire ; et quoiqu’il y en ait d’assez durs à Volterra et dans quelques autres endroits d’Italie, on assure cependant qu’ils le sont moins que l’albâtre de Perse[1] et de quelques autres contrées de l’Orient.

L’on ne doit donc pas se persuader avec le vulgaire que l’albâtre soit toujours blanc, quoique cela ait passé parmi nous en proverbe : ce qui a donné lieu à cette méprise, c’est que la plupart des artistes et même quelques chimistes ont confondu deux matières, et donné, comme les poètes, le nom d’albâtre à une sorte de plâtre très tendre et d’une grande blancheur, tandis que les naturalistes n’ont appliqué ce même nom d’albâtre qu’à une matière calcaire qui se dissout par les acides et se convertit en chaux au même degré de chaleur que la pierre : les acides ne font au contraire aucune impression sur cette autre matière blanche qui est du vrai plâtre ; et Pline avait bien indiqué notre albâtre calcaire, en disant qu’il est de couleur de miel.

Étant descendu en 1740 dans les grottes d’Arcy-sur-Cure, près de Vermanton, je pris dès lors une idée nette de la formation de l’albâtre, par l’inspection des grandes stalactites en tuyaux, en colonnes et en nappes, dont ces grottes, qui ne paraissent être que d’anciennes carrières, sont incrustées et en partie remplies. La colline dans laquelle se trouvent ces anciennes carrières a été attaquée par le flanc à une petite hauteur au-dessus de la rivière de Cure ; et l’on peut juger, par la grande étendue des excavations, de l’immense quantité de pierres à bâtir qui en ont été tirées ; on voit en quelques endroits les marques des coups de marteau qui en ont tranché les blocs ; ainsi l’on ne peut douter que ces grottes, quelque grandes qu’elles soient, ne doivent leur origine au travail de l’homme ; et ce travail est bien ancien, puisque dans ces mêmes carrières abandonnées depuis longtemps, il s’est formé des masses très considérables, dont le volume augmente encore chaque jour par l’addition de nouvelles concrétions formées, comme les premières, par la stillation des eaux : elles ont filtré dans les joints des bancs calcaires qui surmontent ces excavations et leur servent de voûtes ; ces bancs sont superposés horizontalement et forment toute l’épaisseur et la hauteur de la colline dont la surface est couverte de terre végétale : l’eau des pluies passe donc d’abord à travers cette couche de terre et en prend la couleur jaune ou rougeâtre ; ensuite elle pénètre dans les joints et les fentes de ces bancs, où elle se charge des molécules pierreuses qu’elle en détache ; et enfin elle arrive au-dessous du dernier banc, et suinte en s’attachant aux parois de la voûte, ou tombe goutte à goutte dans l’excavation.

Et cette eau, chargée de matière pierreuse, forme d’abord des stalactites qui pendent de la voûte, qui grossissent et s’allongent successivement par des couches additionnelles, et prennent en même temps plus de solidité à mesure qu’il arrive de nouveaux sucs pierreux[2][NdÉ 1] ; lorsque ces sucs sont très abondants, ou qu’ils sont trop liquides, la stalactite

  1. « À Tauris, dans la mosquée d’Osmanla, il y a deux grandes pierres blanches transparentes qui paraissent rouges quand le soleil les éclaire : ils disent que c’est une espèce d’albâtre qui se forme d’une eau qu’on trouve à une journée de Tauris, laquelle, étant mise dans une fosse, se congèle en peu de temps. Cette pierre est fort estimée des Persans, qui en font des tombeaux, des vases, et d’autres ouvrages qui passent pour une rareté à Ispahan ; ils m’ont tous assuré que c’était une congélation d’eau. » Voyage autour du monde, par Gemelli Carreri, t. II, p. 37.
  2. L’auteur du Traité des pétrifications, qui a vu une grotte près de Neufchâtel, nommée Trois-ros, a remarqué que l’eau, qui coule lentement par diverses fentes du roc, s’arrête
  1. C’est-à-dire du carbonate de chaux rendu soluble dans l’eau par sa transformation en bicarbonate et se précipitant quand il perd son excédent d’acide carbonique.