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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/137

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Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de faire observer ici que cette pierre d’Istria est une espèce d’albâtre : on le voit assez par la description de sa substance et de sa décomposition.

Et lorsqu’une cavité naturelle ou artificielle se trouve surmontée par des bancs de marbre qui, de toutes les pierres calcaires, est la plus dense et la plus dure, les concrétions formées dans cette cavité par l’infiltration des eaux ne sont plus des albâtres, mais de beaux marbres fins et d’une dureté presque égale à celle du marbre dont ils tirent leur origine, et qui est d’une formation bien plus ancienne : ces premiers marbres contiennent souvent des coquilles et d’autres productions de la mer, tandis que les nouveaux marbres, ainsi que les albâtres, n’étant composés que de particules pierreuses détachées par les eaux, ne présentent aucun vestige de coquilles, et annoncent par leur texture que leur formation est nouvelle.

Ces carrières parasites de marbre et d’albâtre, toutes formées aux dépens des anciens bancs calcaires, ne peuvent avoir plus d’étendue que les cavités dans lesquelles on les trouve ; on peut les épuiser en assez peu de temps, et c’est par cette raison que la plupart des beaux marbres antiques ou modernes ne se retrouvent plus ; chaque cavité contient un marbre différent de celui d’une autre cavité, surtout pour les couleurs, parce que les bancs des anciens marbres qui surmontent ces cavernes sont eux-mêmes différemment colorés, et que l’eau, par son infiltration, détache et emporte les molécules de ces marbres avec leurs couleurs : souvent elle mêle ces couleurs ou les dispose dans un ordre différent ; elle les affaiblit ou les charge, selon les circonstances ; cependant on peut dire que les marbres de seconde formation sont en général plus fortement colorés que les premiers dont ils tirent leur origine.

Et ces marbres de seconde formation peuvent, comme les albâtres, se régénérer dans les endroits d’où on les a tirés, parce qu’ils sont formés de même par la stillation des eaux. Baglivi[1] rapporte un grand nombre d’exemples qui prouvent évidemment que le marbre se reproduit de nouveau dans les mêmes carrières : il dit que l’on voyait de son temps des chemins très unis, dans des endroits où cent ans auparavant il y avait eu des carrières très profondes ; il ajoute qu’en ouvrant des carrières de marbre on avait rencontré des haches, des pics, des marteaux et d’autres outils renfermés dans le marbre, qui avaient vraisemblablement servi autrefois à exploiter ces mêmes carrières, lesquelles se sont remplies par la suite des temps, et sont devenues propres à être exploitées de nouveau.

On trouve aussi plusieurs de ces marbres de seconde formation qui sont mêlés d’albâtre ; et dans le genre calcaire, comme en tout autre, la nature passe, par degrés et nuances, du marbre le plus fin et le plus dur à l’albâtre et aux concrétions les plus grossières et les plus tendres.

La plupart des albâtres, et surtout les plus beaux, ont quelque transparence, parce qu’ils contiennent une certaine quantité de spath qui s’est cristallisé dans le temps de la formation des stalactites dont ils sont composés ; mais, pour l’ordinaire, la quantité du spath n’est pas aussi grande que celle de la matière pierreuse, opaque et grossière, en sorte que l’albâtre qui résulte de cette composition est assez opaque quoiqu’il le soit toujours moins que les marbres.

Et lorsque les albâtres sont mêlés de beaucoup de spath, ils sont plus cassants et plus difficiles à travailler, par la raison que cette matière spathique cristallisée se fend, s’égrène très facilement et se casse presque toujours en sens oblique ; mais aussi ces albâtres sont souvent les plus beaux, parce qu’ils ont plus de transparence et prennent un poli plus vif que ceux où la matière pierreuse domine sur celle du spath. On a cité,

  1. De lapidum vegetatione.