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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/175

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sous différents angles et diverses coupes, lesquelles sont analogues aux lignes et aux faces angulaires sous lesquelles on sait que les schistes affectent de se diviser lorsqu’ils sont mêlés de la matière calcaire.

Ces pierres mixtes, dans lesquelles les veines schisteuses traversent le fond calcaire, ont moins de solidité et de durée que les marbres purs ; les portions schisteuses sont plus tendres que le reste de la pierre, et ne résistent pas longtemps aux injures de l’air : c’est par cette raison que le marbre campan, employé dans les jardins de Marly et de Trianon, s’est dégradé en moins d’un siècle. On devrait donc n’employer pour les monuments que des marbres reconnus pour être sans mélange de schistes, ou d’autres matières argileuses qui les rendent susceptibles d’une prompte altération et même d’une destruction entière[1].

Une autre matière mixte, et qui n’est composée que d’argile et de substance calcaire, est celle qu’on appelle à Genève et dans le Lyonnais molasse, parce qu’elle est fort tendre dans sa carrière. Elle s’y trouve en grandes masses[2], et on ne laisse pas de l’employer pour les bâtiments, parce qu’elle se durcit à l’air ; mais comme l’eau des pluies et même l’humidité de l’air la pénètrent et la décomposent peu à peu, on doit ne l’employer qu’à couvert ; et c’est en effet pour éviter la destruction de ces pierres molasses, qu’on est dans l’usage, le long du Rhône et à Genève, de faire avancer les toits de cinq à six pieds au delà des murs extérieurs, afin de les défendre de la pluie[3]. Au reste, cette pierre, qui ne peut résister à l’eau, résiste très bien au feu, et on l’emploie avantageusement à la construction des fourneaux de forges et des foyers de cheminées.

Pour résumer ce que nous venons de dire sur les pierres composées de matières vitreuses et de substance calcaire en grandes masses, et dont nous ne donnerons que ces trois exemples, nous dirons : 1o que les schistes spathiques ou roches de corne représentent le grand mélange et la combinaison intime qui s’est faite des matières calcaires avec les argiles, lorsqu’elles étaient toutes deux réduites en poudre, et que ni les unes ni les autres n’avaient encore aucune solidité ; 2o que les mélanges moins intimes, formés par les transports subséquents des eaux, et dans lesquels chacune des matières vitreuses et calcaires ne sont que mêlées et moins intimement liées, nous sont représentés par ces marbres mixtes et ces pierres dessinées, dans lesquelles la matière schisteuse se reconnaît à des caractères non équivoques, et paraît avoir été ou déposée par entassements successifs, et alternativement avec la matière calcaire, ou introduite en petite quantité dans les scissures et les fentes de ces mêmes matières calcaires ; 3o que les mélanges les plus grossiers et les moins intimes de l’argile et de la matière calcaire nous sont représentés

  1. Voyez la dissertation citée.
  2. « En 1779, on ouvrit un chemin près de Lyon, au bord du Rhône, dans une montagne presque toute de molasse ; la coupe perpendiculaire de cette montagne présentait une infinité de couches successives légèrement ondées, d’épaisseurs différentes, dont le tissu plus ou moins serré et les nuances diversifiées annonçaient bien des dépôts formés à différentes époques : j’y ai remarqué des lits de gravier dont l’interposition était visiblement l’effet de quelques inondations, qui avaient interrompu de temps à autre la stratification de la molasse. » Note communiquée par M. de Morveau.
  3. « Le pont de Bellegarde, sur la Valsime, à peu de distance de son confluent avec le Rhône, est assis sur un banc de molasse que les eaux avaient creusé de plus de quatre-vingts pieds, à l’époque de l’année 1778 ; la comminution lente des deux talus avait tellement travaillé sous les culées de ce pont, qu’elles se trouvaient en l’air. Il a fallu le reconstruire, et les ingénieurs ont eu la précaution de jeter l’arc beaucoup au delà des deux bords, laissant pour ainsi dire la part du temps hors du point de fondation, et calculant la durée de cet édifice sur la progression de cette comminution. » Suite de la note communiquée par M. de Morveau.