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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/23

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ne m’attends pas à la voir universellement accueillie ni même adoptée de sitôt par le plus grand nombre. J’ai reconnu que les gens peu accoutumés aux idées abstraites ont peine à concevoir les moules intérieurs et le travail de la nature sur la matière dans les trois dimensions à la fois ; dès lors ils ne concevront pas mieux qu’elle ne travaille que dans deux dimensions pour figurer les minéraux : cependant rien ne me paraît plus clair, pourvu qu’on ne borne pas ses idées à celles que nous présentent nos moules artificiels ; tous ne sont qu’extérieurs et ne peuvent que figurer des surfaces, c’est-à-dire opérer sur deux dimensions ; mais l’existence du moule intérieur et son extension, c’est-à-dire ce travail de la nature dans les trois dimensions à la fois, sont démontrées par le développement de tous les germes dans les végétaux, de tous les embryons dans les animaux, puisque toutes leurs parties, soit extérieures, soit intérieures, croissent proportionnellement, ce qui ne peut se faire que par l’augmentation du volume de leur corps dans les trois dimensions à la fois : ceci n’est donc point un système idéal fondé sur des suppositions hypothétiques, mais un fait constant démontré par un effet général, toujours existant, et à chaque instant renouvelé dans la nature entière ; tout ce qu’il y a de nouveau dans cette grande vue, c’est d’avoir aperçu qu’ayant à sa disposition la force pénétrante de l’attraction et celle de la chaleur, la nature peut travailler l’intérieur des corps et brasser la matière dans les trois dimensions à la fois, pour faire croître les êtres organisés, sans que leur forme s’altère en prenant trop ou trop peu d’extension dans chaque dimension : un homme, un animal, un arbre, une plante, en un mot tous les corps organisés sont autant de moules intérieurs dont toutes les parties croissent proportionnellement, et par conséquent s’étendent dans les trois dimensions à la fois ; sans cela l’adulte ne ressemblerait pas à l’enfant, et la forme de tous les êtres se corromprait dans leur accroissement ; car en supposant que la nature manquât totalement d’agir dans l’une des trois dimensions, l’être organisé serait bientôt non seulement défiguré, mais détruit, puisque son corps cesserait de croître à l’intérieur par la nutrition, et dès lors le solide, réduit à la surface, ne pourrait augmenter que par l’application successive des surfaces les unes contre les autres, et par conséquent d’animal ou végétal il deviendrait minéral, dont effectivement la composition se fait par la superposition de petites lames presque infiniment minces, qui n’ont été travaillées que sur les deux dimensions de leur surface en longueur et en largeur ; au lieu que les germes des animaux et des végétaux ont été travaillés non seulement en longueur et en largeur, mais encore dans tous les points de l’épaisseur qui fait la troisième dimension ; en sorte qu’il n’augmente pas par agrégation comme le minéral, mais par la nutrition, c’est-à-dire par la pénétration de la nourriture dans toutes les parties de son intérieur, et c’est par cette intussusception de la nourriture que l’animal