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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/40

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sur les confins de la Franche-Comté, à l’entrée du canton nommé le Val d’Ajol[1], fermait en effet un vallon très profond, dont les eaux, par un effort terrible, ont rompu la barrière de roche et se sont ouvert un passage au milieu de la masse de la montagne, dont les hautes ruines sont suspendues de chaque côté. Au fond coule un torrent, dont le bruit accroît l’émotion qu’inspire l’aspect menaçant et la sauvage beauté de cet antique temple de la nature, l’un des lieux du monde peut-être où l’on peut voir une des plus grandes coupes d’une montagne vitreuse, et contempler plus en grand le travail de la nature dans ces masses primitives du globe[2]. »

On trouve, en Provence, comme en Lorraine, de grandes masses de jaspe, particulièrement dans la forêt de l’Esterelle ; il s’en trouve encore plus abondamment en Allemagne, en Bohême, en Saxe, et notamment à Freyberg[3]. J’en ai vu des tables de trois pieds de longueur, et l’on m’a assuré qu’on en avait tiré des morceaux de huit à neufs pieds dans une carrière de l’archevêché de Saltzbourg.

Il y aussi des jaspes en Italie[4], en Pologne, aux environs de Varsovie et de Grodno[5], et dans plusieurs autres contrées de l’Europe. On en retrouve en Sibérie ; il y a même près d’Argun[6] une montagne entière de jaspe vert ; enfin on a reconnu des jaspes jusque dans

  1. Les gens du pays nomment la montagne Chanaroux, et sa vallée les Vargottes ; elle est située à deux lieues au midi de la ville de Remiremont, et une lieue à l’orient du bourg de Plombières, fameux par ses eaux minérales chaudes.
  2. Mémoires sur l’histoire naturelle de la Lorraine, communiqués par M. l’abbé Bexon.
  3. On admire dans une salle du Trésor royal de Dresde, dit M. Keysler, un dessus de table d’un jaspe traversé de belles veines de cristal et d’améthyste : ce jaspe se trouve à quatre milles de Dresde, dans le territoire de Freyberg ; il n’y a que peu d’années qu’on le reconnut pour ce qu’il est ; autrefois les paysans se servaient souvent de pierres semblables, pour faire les murs dont ils ont coutume d’entourer quelques-unes de leurs terres. Journal étranger, mois d’octobre 1755, p. 166.
  4. On trouve dans les églises, dans les palais et les cabinets d’antiquités de Rome et d’autres villes d’Italie :

    1o Le diaspro sanguigno ou heliotropio, qui est oriental ; il est vert avec de petites taches couleur de sang ;

    2o Diaspro rosso ; on tire la majeure partie de ce jaspe de la Sicile et de Barga, en Toscane ; il y en a très peu qui soit antique ;

    3o Diaspro giallo ; il est brun jaunâtre avec de petites veines ondulées vertes et blanches ;

    4o Diaspro fiorito reticellato ; il est très beau, le fond est blanc, transparent, agatisé, avec des taches brunes foncées, plus ou moins grandes, irrégulières, et des raies ou rubans de la même couleur : les taches sont entourées d’une ligne blanche opaque, couleur de lait, et quelquefois jaune. On voit, dans la belle maison de campagne de Mondragone et autre part, de très belles tables composées de plusieurs petits morceaux réunis de cette espèce de pierre, elle est antique et très rare : on a aussi du diaspro fiorito de Sicile, d’Espagne et de Constantinople, qui ressemble au diaspro fiorito reticellato. Lettres sur la Minéralogie, par M. Ferber, p. 335 et 336.

  5. Mémoire de M. Guettard, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1762, p. 243.
  6. « Il y a en Sibérie une montagne de jaspe, située sur un faux bras de l’Argun ; nous montâmes cette montagne avec beaucoup de peine, parce qu’elle est fort rapide ; elle est composée d’un beau jaspe vert ; mais elle est fort entremêlée de pierres sauvages, et l’on trouve rarement des morceaux de trois livres pesant, qui soient sans crevasses et purs ; car quoiqu’on rencontre quelquefois des morceaux d’un à deux pieds, ils se fendent en long et en large, étant exposés pendant quelques jours au grand air. On s’est donné jusqu’à présent bien des peines inutiles pour trouver de plus gros morceaux dont on pût faire des colonnes, des tables, etc. ; il semble, par la même raison, qu’on n’a guère d’espérance d’être plus heureux dans la suite ; on voit sur toute la montagne, par-ci par-là, des carrières dont on a tiré anciennement plusieurs milliers de livres de cette pierre précieuse. » Voyage en Sibérie, par M. Gmelin, t. II, p. 81.