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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/47

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sont souvent colorées, indiquent une grande proximité entre l’époque de sa formation et le temps où les sublimations métalliques pénétraient les jaspes et les teignaient de leurs couleurs ; cependant les jaspes, quoique plus fortement colorés, résistent à un feu bien supérieur à celui qui met le feldspath en fusion : ainsi sa fusibilité n’est pas due aux parties métalliques qui ne l’ont que légèrement coloré, mais au mélange de quelque autre substance. En effet, dans le temps où la matière quartzeuse du globe était encore en demi-fusion, les substances salines, jusqu’alors reléguées dans l’atmosphère avec les matières encore plus volatiles, ont dû tomber les premières ; et en se mélangeant avec cette pâte quartzeuse, elles ont formé le feldspath et le schorl, tous deux fusibles, parce que tous deux ne sont pas des substances simples, et qu’ils ont reçu dans leur composition cette matière étrangère.

Et l’on ne doit pas confondre le feldspath avec les autres spaths auxquels il ne ressemble que par sa cassure lamellée, tandis que par toutes ses autres propriétés il en est essentiellement différent, car c’est un vrai verre qui se fond au même degré de feu que nos verres factices : sa forme cristallisée ne doit pas nous empêcher de le regarder comme un véritable verre produit par le feu, puisque la cristallisation peut également s’opérer par le moyen du feu comme par celui de l’eau, et que dans toute matière liquide ou liquéfiée nous verrons qu’il ne faut que du temps, de l’espace et du repos pour qu’elle se cristallise. Ainsi la cristallisation du feldspath a pu s’opérer par le feu ; mais, quelque similitude qu’il y ait entre ces cristallisations produites par le feu et celles qui se forment par le moyen de l’eau, la différence des deux causes n’en reste pas moins réelle ; elle est même frappante dans la comparaison que l’on peut faire de la cristallisation du feldspath et de celle du cristal de roche, car il est évident que la cristallisation de celui-ci s’opère par le moyen de l’eau, puisque nous voyons le cristal se former, pour ainsi dire, sous nos yeux, et que la plupart des cailloux creux en contiennent des aiguilles naissantes ; au lieu que le feldspath, quoique cristallisé dans la masse des porphyres et des granités, ne se forme pas de nouveau ni de même sous nos yeux, et paraît être aussi ancien que ces matières[NdÉ 1] dont il fait partie, quelquefois si considérable qu’il excède dans certains granits la quantité du quartz, et dans certains porphyres celle du jaspe, qui cependant sont les bases de ces deux matières[NdÉ 2].

C’est par cette même raison de sa grande quantité qu’on ne peut guère regarder le feldspath comme un extrait ou une exsudation du quartz ou du jaspe, mais comme une substance concomitante aussi ancienne que ces deux premiers verres. D’ailleurs on ne peut pas nier que le feldspath n’ait une très grande affinité avec les trois autres matières primitives ; car, saisi par le jaspe, il a fait les porphyres ; mêlé avec le quartz, il a formé certaines roches dont nous parlerons sous le nom de pierres de Laponie ; et joint au quartz, au schorl et au mica, il a composé les granits, au lieu qu’on ne le trouve jamais intimement mêlé dans les grès ni dans aucune autre matière de seconde formation : il n’y existe qu’en petits débris, comme on le voit dans la belle argile blanche de Limoges[NdÉ 3]. Le feldspath a donc été produit avant ces dernières matières, et semble s’être incorporé avec le jaspe et mêlé avec le quartz dans un temps voisin de leur fusion, puisqu’il se trouve généralement dans toute l’épaisseur des grandes masses vitreuses, qui ont ces matières pour base, et dont la fonte ne peut être attribuée qu’au feu primitif, et que, d’autre part,

  1. De ce que le feldspath se trouve à l’état cristallisé dans l’épaisseur des roches d’origine ignée, on n’est pas en droit de conclure que l’eau a été étrangère à sa formation. J’ai déjà rappelé, dans une note précédente, que l’eau a pris part à la formation de toutes les roches éruptives.
  2. Le jaspe ne prend pas part à la formation des porphyres.
  3. « L’argile blanche de Limoges » ou kaolin est formée de feldspath décomposé par l’eau. Buffon se trompe quand il dit un peu plus loin que cette « argile blanche » « n’est pas composée de détriments de feldspath ».