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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/61

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Si nous considérons maintenant que les grands bancs et les montagnes de granit s’offrent à la superficie de la terre dans tous les lieux où les argiles, les schistes et les couches calcaires n’ont pas recouvert l’ancienne surface du globe, et où le feu des volcans ne l’a point bouleversée, en un mot partout où subsiste la structure primitive de la terre[1], on ne pourra guère se refuser à croire qu’ils sont l’ouvrage de la dernière fonte qui ait eu lieu à sa surface encore ardente, et que cette dernière fonte n’ait été celle du feldspath et du schorl, lesquels, des cinq verres primitifs, sont sans comparaison les plus fusibles ; et si l’on rapproche ici un fait qui, tout grand et tout frappant qu’il est, ne paraît pas avoir été remarqué des minéralogistes, savoir qu’à mesure que l’on creuse ou qu’on fouille dans une montagne dont la cime et les flancs sont de granit, loin de trouver du granit plus solide et plus beau à mesure que l’on pénètre, l’on voit au contraire qu’au-dessous, à une certaine profondeur, le granit se change, se perd et s’évanouit à la fin, en reprenant peu à peu la nature brute du roc vif et quartzeux. On peut s’assurer de ce changement successif dans les fouilles de mines profondes : quoique ces profondeurs où nous pénétrons soient bien superficielles, en comparaison de celles où la nature a pu travailler les matériaux de ses premiers ouvrages, on ne voit dans ces profondeurs que la roche quartzeuse, dont la partie qui touche aux filons des mines et forme les parois des fentes perpendiculaires est toujours plus ou moins altérée par les eaux ou par les exhalaisons métalliques, tandis que celle qu’on taille dans l’épaisseur vive est une roche sauvage plus ou moins décidément quartzeuse, et dans laquelle on ne distingue plus rien qui ressemble aux grains réguliers du granit. En rapprochant ce second fait du premier, on ne pourra guère douter que les granits n’aient en effet été formés des détriments du quartz décrépité jusqu’à certaines profondeurs, et du ciment vitreux du feldspath et du schorl, qui s’est ensuite interposé entre ces grains de quartz et les micas, qui n’en étaient que les exfoliations.

Il s’est formé des granits à plus grands et à plus petits cristaux de feldspath et de schorl, suivant que les grains quartzeux se sont trouvés plus ou moins rapprochés, plus ou moins gros, et selon qu’ils laissaient entre eux plus d’espace où le feldspath et le schorl pouvaient couler pour se cristalliser. Dans le granit à menus grains, le feldspath et le schorl, presque confondus et comme incorporés avec la pâte quartzeuse, n’ont point eu assez d’espace pour former une cristallisation bien distincte ; au lieu que dans les beaux granits à gros grains réguliers, le feldspath et quelquefois le schorl sont cristallisés distinctement, l’un en rhombes et l’autre en prismes[2].

Les teintes de rouge du feldspath et de brun noirâtre du schorl dans les granits sont dues sans doute aux sublimations métalliques, qui de même ont coloré les jaspes et se sont étendues dans la matière du feldspath et du schorl en fusion. Néanmoins cette teinture métallique ne les a pas tous colorés, car il y a des feldspaths et des schorls blancs

  1. « Après avoir vu les ruines de l’ancienne Syène, je me rendis aux carrières de granit, qui sont environ un mille au sud-est. Tout le pays qui est à l’orient, les îles et le lit du Nil, sont de granit rouge, appelé par Hérodote pierre thébaïque. Ces carrières ne sont pas profondes, et l’on tire la pierre des flancs des montagnes. Je trouvai dedans quelques colonnes ébauchées, entre autres une carrée, qui était vraisemblablement destinée pour un obélisque… On suit ces carrières le long du chemin d’Assouan (Syène) à Philæ… L’île d’Éléphantine n’est aussi qu’un rocher de granit rouge… et ce sont des rochers de ce même granit, que le Nil a rompus, et entre lesquels il passe dans ses fameuses cataractes. » Voyage de Pococke. Paris, 1772, tome Ier, p. 347, 348, 354 et 360.
  2. « Le granit (proprement dit) varie par la proportion de ses ingrédients, qui est différente dans différents rochers, et quelquefois dans les différentes parties d’un même rocher… Il varie aussi par la grandeur de ses parties, et surtout des cristaux de feldspath, qui ont quelquefois jusqu’à un pouce de longueur, et d’autres fois sont aussi petits qu’un grain de sable. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 105.