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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/68

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vrais granits primitifs. Et en effet l’on trouve en divers endroits ces nouveaux granits, soit en couches, soit en amas inclinés, et on reconnaît à plusieurs caractères qu’ils sont de seconde formation ; 1o à leur position en couches, et quelquefois en sacs entre des matières calcaires[1] ; 2o en ce qu’ils sont moins compactes, moins durs et moins durables que les granits antiques ; 3o en ce que le feldspath et le schorl n’y sont pas en cristaux bien distincts, mais par petites masses qui paraissent résulter de l’agglutination de plusieurs fragments de ces mêmes substances, et qui n’offrent à l’œil qu’une teinte terne et mate, de couleur briquetée ou d’un gris rougeâtre ; 4o en ce que les parcelles du mica y ont forme par leur jonction des feuilles assez grandes, et même de petites piles de ces feuilles qui ressemblent à du talc ; 5o enfin, en ce que l’empâtement de toute la pierre est grossier, imparfait, n’ayant ni la cohérence, ni la solidité, ni la cassure vive et vitreuse du vrai granit. On peut vérifier ces différences en comparant les granits des Vosges ou des Alpes avec celui qui se trouve à Semur en Bourgogne ; ce granit est de seconde formation ; il est friable, peu compact, mêlé de talc ; il est disposé par lits et par couches presque horizontales ; il présente donc toutes les empreintes d’un ouvrage de l’eau, au lieu que les granits primitifs n’ont d’autres caractères que ceux d’une vitrification.

On ne doit donc rien inférer, rien conclure de la formation de ces granits secondaires à celle du granit primitif dont ils ne sont que des détriments : les grès sont relativement au quartz ce que ces seconds granits sont au premier, et vouloir les réunir pour expliquer leur formation par un principe commun, c’est comme si l’on prétendait rendre raison de l’origine du quartz par la formation du grès.

Ceux qui voudraient persister à croire qu’on doit rapporter à l’eau la formation de tous les granits, même de ceux qui sont élancés à pic, et groupés en pyramides dans les montagnes primitives, ne voient pas qu’ils ne font que reculer, ou plutôt éluder la réponse à la question ; car ne doiton pas leur demander d’où sont venus, et par quel agent ont été formés ces fragments vitreux employés par l’eau pour composer les granits[2], et dès lors ne seront-ils pas forcés à rechercher l’origine des masses, dont ces fragments vitreux ont été détachés, et ne faut-il pas reconnaître que si l’eau peut diviser, transporter, rassembler les matières vitreuses, elle ne peut en aucune façon les produire ?

La question resterait donc à résoudre dans toute son étendue, quand on voudrait par prévention de système, ou qu’on pourrait par suite d’analogie, établir que les granits primitifs ont été formés par l’eau ou dans le sein des eaux, et il resterait toujours pour fait constant que la grande masse vitreuse, dont les éléments de ces granits sont ou l’extrait ou les débris, est une matière antérieure et étrangère à l’eau, et dont la formation ne peut être attribuée qu’à l’action du feu primitif.

Les nouveaux granits sont souvent adossés aux flancs, ou stratifiés aux pieds des

  1. Au-dessus de Lescrinet, du côté d’Aubenas (en Vivarais), on trouve une scissure énorme dans du marbre, remplie de matière granitique, qui démontre bien visiblement que les granits supérieurs sont venus se mouler dans cette fente perpendiculaire. Il fallut donc, pour la formation de ce filon fort curieux : 1o que la roche calcaire existât avant lui ; 2o que la fente perpendiculaire de cette carrière matrice se fit après la séparation des eaux de la mer par les lois du retrait ; car si la matière calcaire eût été dans un état de vase, elle se fût mélangée par l’action du courant avec la vase de granit, ou avec ses grains sablonneux… ; 3o que la roche de granit, en supposant ces trois premiers cas, fût réellement dans un état de pâte molle, puisqu’elle remplit exactement toutes les sinuosités de sa gangue. Hist. naturelle de la France méridionale, par M. Soulavie, t. Ier, p. 385 et 386.
  2. Le granit, dit très bien M. de Saint-Fond, n’est pas la pierre primitive dont est formé le noyau de notre globe, et qui couronne les hautes montagnes… Cette roche étant composée de différentes matières agrégées, bien connues et bien distinctes, elle suppose la préexistence de ces matières. Vues générales du Dauphiné, p. 13.