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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome II, partie 3.pdf/75

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de grès paraît nous indiquer qu’elles ont été formées dans des temps différents, et que la formation des grès qui sont en bancs horizontaux, est postérieure à la production de ceux qui se présentent en blocs isolés ; car celle-ci ne suppose que la simple agrégation du sable quartzeux, dans le lieu même où il s’est trouvé après la vitrification générale, au lieu que la position des autres grès par couches horizontales suppose le transport de ces mêmes sables par le mouvement des eaux ; et le mélange des matières étrangères qui se trouvent dans ces grès semble prouver aussi qu’ils sont d’une formation moins ancienne que celle des grès purs.

Si l’on voulait douter que l’eau pût former le grès par la seule réunion des molécules du quartz, il serait aisé de le démontrer par la formation du cristal de roche, qui est aussi dur que le grès le plus pur, et qui néanmoins n’est formé que des mêmes molécules par la stillation des eaux ; et d’ailleurs on voit un commencement de cette réunion des particules quartzeuses dans la consistance que prend le sable lorsqu’il est mouillé : plus ce sable est sec et plus il est pulvérulent ; et dans les lieux où les sables de grès couvrent la surface du terrain, les chemins ne sont jamais plus praticables que quand il a beaucoup plu, parce que l’eau consolide un peu ces sables en rapprochant leurs grains.

Les grès ne se trouvent communément que près des contrées de quartz, de granit, et d’autres matières vitreuses[1], et rarement au milieu des terres où il y a des marbres, des pierres calcaires ou des craies ; cependant le grès, quoique voisin quelquefois du granit par sa situation, en diffère trop par sa composition, pour qu’on puisse leur appliquer quelque dénomination commune, et plusieurs observateurs sont tombés dans l’erreur en appelant granit du grès à gros grains : la composition de ces deux matières est différente, en ce que, dans ces grès composés des détriments du granit, jamais les molécules du feldspath n’ont repris une cristallisation distincte, ni celles du quartz un empâtement commun avec elles, non plus qu’avec les particules du mica ; ces dernières sont comme semées sur les autres, et toute la couche, par sa disposition comme par sa texture, ne montre qu’un amas de sables grossièrement agglutinés par une voie bien différente de la fusion intime des grandes masses vitreuses ; et l’on peut encore remarquer que ces grès composés de plusieurs espèces de sables sont généralement plus grossiers, moins compactes, et d’un grain plus gros que le grès pur, qui toujours est plus solide et plus dur, et dont le grain plus fin porte évidemment tous les caractères d’une poudre de quartz.

Le grès pur est donc le produit immédiat des détriments du quartz ; et lorsqu’il se trouve réduit en poudre impalpable, cette poudre quartzeuse est si subtile, qu’elle pénètre les autres matières solides, et même l’on prétend s’être assuré qu’elle passe à travers le verre. MM. Le Blanc et Clozier ayant placé une bouteille de verre vide et bien bouchée dans une carrière de grès des environs d’Étampes, ils s’aperçurent, au bout de quelques mois, qu’il y avait au dedans de cette bouteille une espèce de poussière, qui était un sable très fin de la même nature que la poudre de grès[2].

Il n’y a peut-être aucune matière vitreuse dont les qualités apparentes varient autant que celles des grès : « On en rencontre de si tendres, dit M. de Lassone, que leurs grains

    de sable mélangée de mica, et disposée par bancs inclinés de trente-huit à quarante degrés ; ces bancs ne passent point par-dessous les bases des montagnes voisines, ils sont d’une date beaucoup plus récente. Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 366.

  1. « C’est un fait bien important, à ce que je crois, pour la théorie de la terre, et qui pourtant n’avait point encore été observé, que presque toujours, entre les dernières couches secondaires et les premières primitives, on trouve des bancs de grès ou de poudingues : j’ai observé ce phénomène non seulement dans un grand nombre de montagnes des Alpes, mais encore dans les Vosges, dans les montagnes des Cévennes, de la Bourgogne et du Forez. » Saussure, Voyage dans les Alpes, t. Ier, p. 528.
  2. Histoire de l’Académie de Dijon, t. II, p. 29.