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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/152

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et comme il diffère aussi de la sélénite par sa saveur et sa solubilité dans l’eau, on a jugé que la magnésie qui lui sert de base était une terre entièrement différente de l’argile et de la craie ; d’autant que cette même magnésie, combinée avec d’autres acides, tels que l’acide nitreux ou celui du vinaigre, donne encore des sels différents de ceux que l’argile ou la terre calcaire donne en les combinant avec ces mêmes acides : mais, si l’on compare ces différences avec les rapports et les ressemblances que nous venons d’indiquer entre la terre calcaire et la magnésie, on ne pourra douter, ce me semble, qu’elle ne soit au fond une vraie terre calcaire, d’abord pénétrée d’acide vitriolique, et ensuite modifiée par l’acide aérien, et peut-être aussi par l’alcali végétal, dont elle paraît avoir plusieurs propriétés.

La seule chose qui pourrait faire penser que cette terre magnésie est mêlée d’une petite quantité d’argile, c’est que, dans les matières argileuses, elle est si fortement unie à la terre alumineuse qu’on a de la peine à l’en séparer ; mais cet effet prouve seulement que la terre de l’alun n’est pas une argile pure, et qu’elle contient une certaine quantité de terre alcaline ; ainsi, tout considéré, je regarde la magnésie comme une sorte de plâtre : ces deux matières sont également imprégnées d’acide vitriolique, elles ont les mêmes propriétés essentielles, et quoique la magnésie ne se présente pas en grandes masses comme le plâtre, elle est peut-être en aussi grande quantité sur la terre et dans l’eau, car on en retire des cendres de tous les végétaux, et plus abondamment des eaux mères, du nitre et du sel marin, autre preuve que ce n’est au fond qu’une terre calcaire modifiée par la végétation et la putréfaction.

L’acide vitriolique, en se combinant avec les huiles végétales, a formé les bitumes[1], et s’est pleinement saturé, car il n’a plus aucune action sur le bitume, qui n’a pas plus de saveur sensible que l’argile et le plâtre, dans lesquels cet acide est de même pleinement saturé.

Si l’on expose à l’action de l’acide vitriolique les substances végétales et animales dans leur état naturel, « il agit à peu près comme le feu, s’il est bien concentré ; il les dessèche, les crispe et les réduit presque à l’état charbonneux, et de là on peut juger qu’il en altère souvent les principes, en même temps qu’il les sépare[2]. » Ceci prouve bien que cet acide n’est pas uniquement composé des principes aqueux et terreux, comme Stahl et ses disciples l’ont prétendu, mais qu’il contient aussi une grande quantité d’air actif et de feu réel. Je crois devoir insister ici sur ce que j’ai déjà dit à ce sujet, parce que le plus grand nombre des chimistes pensent que l’acide vitriolique est l’acide primitif, et que pour le prouver ils ont tâché d’y ramener ou d’en rapprocher tous les autres acides. Or, leur grand maître en chimie a voulu établir sa théorie des sels sur deux idées, dont l’une est générale, l’autre particulière : la première, que l’acide vitriolique est l’acide universel et le seul principe salin, qu’il y ait dans la nature, et que toutes les autres substances salines, acides ou alcalines, ne sont que des modifications de cet acide altéré, enveloppé, déguisé par des substances accessoires ; nous n’avons pas adopté cette idée, qui néanmoins a le mérite de se rapprocher de la simplicité de la nature. L’acide vitriolique sera, si l’on veut, le second acide ; mais l’acide aérien est le premier, non seulement dans l’ordre de leur formation, mais encore parce qu’il est le plus pur et le plus simple de tous, n’étant composé que d’air et de feu, tandis que l’acide vitriolique et tous les autres acides sont mêlés

  1. L’acide vitriolique, versé sur les huiles d’amande, d’olive, de navette, et même sur les huiles essentielles, les noircit sur-le-champ et les rend plus solides ; le mélange acquiert, avec le temps, une consistance et des propriétés qui le rapprochent sensiblement du bitume, quand l’huile est plus terreuse, et de la résine quand l’huile est plus légère et plus volatile… On n’a point examiné l’action de l’acide vitriolique sur les résines, les gommes et les sucs gommo-résineux… Avec l’acide vitriolique et l’esprit-de-vin on produit l’éther. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. III, p. 121 et 122.
  2. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. III, p. 123.