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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/169

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Nous ne pouvons douter qu’il n’y ait en France des mines de sel gemme, puisque nous y connaissons un grand nombre de fontaines salées, et dans nos provinces même les plus éloignées de la mer ; mais la recherche de ces mines est prohibée, et même l’usage de l’eau qui en découle nous est interdit par une loi fiscale, qui s’oppose au droit si légitime d’user de ce que la nature nous offre avec profusion ; loi de proscription contre l’aisance de l’homme et la santé des animaux, qui, comme nous, doivent participer aux bienfaits de la mère commune, et qui faute de sel ne vivent et ne se multiplient qu’à demi ; loi de malheur, ou plutôt sentence de mort contre les générations à venir, qui n’est fondée que sur le mécompte et sur l’ignorance, puisque le libre usage de cette denrée, si nécessaire à l’homme et à tous les êtres vivants, ferait plus de bien et deviendrait plus utile à l’État que le produit de la prohibition, car il soutiendrait et augmenterait la vigueur, la santé, la propagation, la multiplication des hommes et de tous les animaux utiles. La gabelle fait plus de mal à l’agriculture que la grêle et la gelée ; les bœufs, les chevaux, les moutons, tous nos premiers aides dans cet art de première nécessité et de réelle utilité, ont encore plus besoin que nous de ce sel qui leur était offert comme l’assaisonnement de leur insipide herbage et comme un préservatif contre l’humidité putride dont nous les voyons périr ; tristes réflexions que j’abrège en disant que l’anéantissement d’un bienfait de la nature est un crime dont l’homme ne se fût jamais rendu coupable, s’il eût entendu ses véritables intérêts.

Les mines de sel se présentent dans tous les pays où l’on a la liberté d’en faire usage[1] ; il y en a tout autant en Asie qu’en Europe, et le despotisme oriental, qui nous paraît si pesant pour l’humanité, s’est cependant abstenu de peser sur la nature : le sel est commun en Perse et ne paye aucun droit[2] ; les salines y sont en grand nombre, tant à la

  1. Nous séjournâmes un jour à Bex (dans le voisinage de Lausanne en Suisse), et nous l’employâmes à visiter les salines qui sont dans la montagne : on y cherche, en poussant des galeries dans le sein du rocher, la masse de sel, où une source d’eau prend en y passant celui qu’elle charrie et qu’on en tire à grands frais. Le rocher montre en quelques endroits des veines de ce sel qui font espérer qu’on trouvera cette masse. Lettres de M. de Luc, citoyen de Genève, p. 9 et 10.
  2. Le sel se fait par la nature toute seule, et sans aucun art ; le soufre et l’alun se font de même ; il y a deux sortes de sel dans le pays, celui des terres et celui des mines ou de roche. Il n’y a rien de plus commun en Perse que le sel, car d’un côté il n’y a nul droit dessus, et de l’autre vous trouvez des plaines entières, longues de dix lieues et plus, toutes couvertes de sel, et vous en trouvez d’autres qui sont couvertes de soufre et d’alun : on en passe quantité de cette sorte en voyageant dans la Parthide, dans la Perside, dans la Caramanie. Il y a une plaine de sel proche de Cachan, qu’il faut passer pour aller en Hircanie, où vous trouvez le sel aussi net et aussi pur qu’il se puisse. Dans la Médie et à Ispahan, le sel se tire des mines, et on le transporte par gros quartiers, comme la pierre de taille ; il est si dur en des endroits, comme dans la Caramanie déserte, qu’on en emploie les pierres pour la construction des maisons des pauvres gens. Voyages de Chardin en Perse, etc. ; Amsterdam, 1711, t. II, p. 23. — Cette dernière particularité n’est point du tout fabuleuse ; Pline parle de ces constructions en masses de sel, que l’on cimente, ajoute-t-il, en les mouillant : « Gerris, Arabiæ oppido, muros domosque massis salis faciunt, aquâ ferruminantes. » Au reste, de pareilles structures ne peuvent subsister que dans un pays tel que l’Arabie, où il ne pleut jamais. — En sortant de la ville de Kom, à notre droite, nous découvrîmes la montagne de Kilesim, qui n’est que médiocrement haute ; mais elle est ceinte de tous côtés de plusieurs collines stériles et pierreuses, qui ne produisent que du sel, aussi bien que toute la campagne voisine, et qui est toute blanche de sel et de salpêtre : cette montagne, de même que celles de Nochtznan, de Kulb, d’Urumi, de Kemre, de Hemedan, de Bisetum et de Suldur, fournissent toute la Perse de sel, que l’on en tire comme d’une carrière. Voyages d’Oléarius en Moscovie ; Paris, 1656, t. II, p. 5. — Il y a quantité de montagnes dans la Perse… Il y en a plusieurs d’où l’on tire le sel comme on tire des pierres