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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/181

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» La saveur et la qualité du sel marin sont fort altérées par le mélange du gypse, lorsque les eaux ne reçoivent pas assez de chaleur pour en opérer la séparation, et la quantité du gypse est fort considérable dans les eaux de Salins… Le gypse de Salins rend le sel d’un blanc opaque, et le gypse de Montmorot lui donne sa couleur grise… Lorsque les eaux sont faibles en salure comme celles de Montmorot, on a trouvé le moyen de les concentrer par une méthode ingénieuse[1] et qui multiplie l’évaporation sans feu. »

Ces fontaines salées de la Franche-Comté, qui fournissent du sel à toute cette province et à une partie de la Suisse, ne sont pas plus abondantes que celles qui se trouvent en Lorraine et qui s’exploitent dans les petites villes de Dieuze, Moyenvic et Château-Salins, toutes situées le long de la vallée qu’arrose la rivière de Seille. À Rosières, dans la même province, était une saline des plus belles de l’Europe, par l’étendue de son bâtiment de graduation ; mais cette saline est détruite depuis environ vingt ans : à Dieuze, non plus qu’à Moyenvic et à Château-Salins, on n’a pas besoin de ces grands bâtiments ou hangars de graduation pour évaporer l’eau, parce que d’elle-même elle est assez chargée pour qu’on puisse, en la soumettant immédiatement à l’ébullition, en tirer le sel avec profit.

Il se trouve aussi des sources et fontaines salées dans le duché de Bourgogne, et dans plusieurs autres provinces, où la ferme générale entretient des gardes pour empêcher le peuple de puiser de l’eau dans ces sources : si l’on refuse ce sel aux hommes, on devrait au moins permettre aux animaux de s’abreuver de cette eau, en établissant des bassins dans lesquels ces mêmes gardes ne laisseraient entrer que les bœufs et les moutons qui ont autant et peut-être plus besoin que l’homme de ce sel, pour prévenir les maladies de pourriture qui les font périr, ce qui, je le répète, cause beaucoup plus de perte à l’État que la vente du sel ne donne de profit.

Dans quelques endroits, ces fontaines salées forment de petits lacs ; on en voit un aux environs de Courtaison, dans la principauté d’Orange : « Des hommes, dit M. Guettard, intéressés à ce qu’on ne fasse point d’usage de cette eau, ordonnent de trépigner et mêler ainsi avec la terre le sel qui peut dans la belle saison se cristalliser sur les bords de cet étang ; l’eau en est claire et limpide, un peu onctueuse au toucher, d’un goût passablement salé. Ce petit lac est éloigné de la mer d’environ vingt lieues ; s’il n’était dû qu’à une masse d’eau de mer restée dans cet endroit, bientôt la seule évaporation aurait

    2o Une partie du gypse se décompose, son acide vitriolique agit sur la base du sel marin, le dénature et le rend amer ;

    3o Le sel marin le plus pur reçoit une altération très sensible par la calcination ; il devient plus caustique, une partie de l’acide s’en dissipe et laisse une base terreuse qui procède de la décomposition de l’alcali minéral. La décomposition du sel est si sensible, que l’on ne peut rester dans les étuves du grillage, à cause des vapeurs acides qui affectent la poitrine et les yeux.

  1. Des pompes, mues par un courant d’eau, élèvent les eaux salées dans des réservoirs placés au haut d’un vaste hangar, long et étroit, d’où on les fait tomber par gouttes, au moyen de plusieurs files de robinets, sur des lits d’épines accumulées jusqu’à la hauteur d’environ dix-huit pieds ; l’eau, répandue en lames très déliées, et divisée presque à l’infini sur tous les branchages des épines, est reçue dans un vaste bassin formé de planches de sapin, qui sert de base à tout le hangar ; de ce bassin, les mêmes eaux sont relevées et reportées par d’autres pompes dans le réservoir supérieur : on les fait ainsi passer et repasser à plusieurs reprises sur les épines, ce qui fait qu’elles deviennent de plus en plus salées… et lorsqu’elles ont acquis onze à douze degrés de salure, c’est-à-dire lorsqu’elles sont en état de rendre environ douze livres de sel par cent livres d’eau, on les fait couler dans les poêles de la saline pour les évaporer au feu, et dans cet état les eaux de Montmorot sont encore inférieures en salure au degré naturel des eaux de Salins. Mémoires de M. de Montigny, dans ceux de l’Academie des sciences, année 1762, p. 118.