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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/201

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différents métaux et minéraux métalliques[1] ; en effet, il y a presque toujours plusieurs métaux dans la même mine : on trouve le fer avec le cuivre, le plomb avec l’argent, l’or avec le fer, et quelquefois tous ensemble ; car il ne faut pas croire, comme bien des gens se le figurent, qu’une mine d’or ou d’argent ne contienne que l’une ou l’autre de ces matières ; il suffit, pour qu’on lui donne cette dénomination, que la mine soit mêlée d’une assez grande quantité de l’un ou de l’autre de ces métaux pour être travaillée avec profit ; mais souvent et presque toujours le métal précieux y est en moindre quantité que les autres matières minérales ou métalliques.

Quoique les faits subsistants s’accordent parfaitement avec les causes et les effets que je suppose, on ne manquera pas de contester cette théorie de l’établissement local des mines métalliques : on dira qu’on peut se tromper en estimant par comparaison et jugeant par analogie les procédés de la nature ; que la vitrification de la terre et la sublimation des métaux par le feu primitif, n’étant pas des faits démontrés, mais de simples conjectures, les conséquences que j’en tire ne peuvent qu’être précaires et purement hypothétiques ; enfin l’on renouvellera sans doute l’objection triviale si souvent répétée contre les hypothèses, en s’écriant qu’en bonne physique il ne faut ni comparaisons ni systèmes.

Cependant il est aisé de sentir que nous ne connaissons rien que par comparaison, et que nous ne pouvons juger des choses et de leurs rapports qu’après avoir fait une ordonnance de ces mêmes rapports, c’est-à-dire un système. Or les grands procédés de la nature sont les mêmes en tout, et, lorsqu’ils nous paraissent opposés, contraires ou seulement différents, c’est faute de les avoir saisis et vus assez généralement pour les bien comparer. La plupart de ceux qui observent les effets de la nature, ne s’attachant qu’à quelques points particuliers, croient voir des variations et même des contrariétés dans ses opérations, tandis que celui qui l’embrasse par des vues plus générales reconnaît la simplicité de son plan et ne peut qu’admirer l’ordre constant et fixe de ses combinaisons, et l’uniformité de ses moyens d’exécution : grandes opérations, qui, toutes fondées sur des lois invariables, ne peuvent varier elles-mêmes ni se contrarier dans les effets ; le but du philosophe naturaliste doit donc être de s’élever assez haut pour pouvoir déduire d’un seul effet général, pris comme cause, tous les effets particuliers ; mais, pour voir la nature sous ce grand aspect, il faut l’avoir examinée, étudiée et comparée dans toutes les parties de son immense étendue ; assez de génie, beaucoup d’étude, un peu de liberté de penser, sont trois attributs sans lesquels on ne pourra que défigurer la nature, au lieu de la représenter : je l’ai souvent senti en voulant la peindre, et malheur à ceux qui ne s’en doutent pas ! leurs travaux, loin d’avancer la science, ne font qu’en retarder le progrès ; de petits faits, des objets présentés par leurs faces obliques, ou vus sous un faux jour, des choses mal entendues, des méthodes scolastiques, de grands raisonnements fondés sur une métaphysique puérile ou sur des préjugés, sont les matières sans substance des ouvrages de l’écrivain sans génie ; ce sont autant de tas de décombres qu’il faut enlever avant de pouvoir construire. Les sciences seraient donc plus avancées si moins de gens avaient écrit : mais l’amour-propre ne s’opposera-t-il pas toujours à la bonne foi ? L’ignorant se croit suffisamment instruit ; celui qui ne l’est qu’à demi se croit plus que savant, et tous s’imaginent avoir du génie, ou du moins assez d’esprit pour en critiquer les productions ; on le voit par les ouvrages de ces écrivains qui n’ont d’autre mérite que de crier contre

  1. Les métaux et demi-métaux n’ont pas chacun leur mine particulière, et leurs minerais ne sont pas des corps homogènes : au contraire, presque toutes les substances métalliques sont souvent confondues ensemble, et l’on présume même que quelques-unes, telles que le zinc et le platine, résultent du mélange des autres.

    L’argent, le plomb, le cuivre, l’arsenic et le cobalt se trouvent assez souvent confondus dans le même filon de mine, en des quantités presque égales. Mémoires de Physique, par M. de Grignon, in-4o, p. 272.