Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’on destine les bandes de fer forgé à faire de la tôle, on les fait de même passer au feu de la fenderie, et, au lieu de les fendre sur leur longueur, on les coupe en travers dès qu’elles sont ramollies par le feu ; ensuite on porte ces morceaux coupés sous le martinet pour les élargir ; après quoi, on les met dans le fourneau de la batterie, qui est aussi de réverbère, mais qui est plus large et moins long que celui de la fenderie, et que l’on chauffe de même avec du bois blanc : on y laisse chauffer ces morceaux de fer, et on les en tire en les mettant les uns sur les autres pour les élargir encore en les battant à plusieurs fois sous un gros marteau, jusqu’à les réduire en feuillets d’une demi-ligne d’épaisseur ; il faut pour cela du fer doux ; j’ai fait de la très bonne tôle avec de vieilles ferrailles, néanmoins le fer ordinaire, pourvu qu’il soit nerveux, bien sué et sans pailles, donnera aussi de la bonne tôle en la faisant au feu de bois, au lieu qu’au feu de charbon ce même fer ne donnerait que de la tôle cassante.

Il faut aussi du fer doux et nerveux pour faire au martinet du fer de cinq ou six lignes, bien carré, qu’on nomme du carillon, et des verges ou tringles rondes du même diamètre : j’ai fait établir deux de ces martinets, dont l’un frappe trois cent douze coups par minute ; cette grande rapidité est doublement avantageuse, tant par l’épargne du combustible et la célérité du travail, que par la perfection qu’elle donne à ces fers.

Enfin, il faut un fer de la meilleure qualité, et qui soit en même temps très ferme et très ductile pour faire du fil de fer, et il y a quelques forges en Lorraine, en Franche-Comté, etc., où le fer est assez bon pour qu’il puisse passer successivement par toutes les filières, depuis deux lignes de diamètre jusqu’à la plus étroite, au sortir de laquelle le fil de fer est aussi fin que du crin : en général, le fer qu’on destine à la filière doit être tout de nerf et ductile dans toutes ses parties ; il doit être bien sué, sans pailles, sans soufflures et sans grains apparents. J’ai fait venir des ouvriers de la Lorraine allemande pour en faire à mes forges, afin de connaître la différence du travail et la pratique nécessaire pour forger ce fer de filerie : elle consiste principalement à purifier la loupe au feu de raffinerie deux fois au lieu d’une, à donner à la pièce une chaude ou deux de plus qu’à l’ordinaire, et à n’employer dans tout le travail qu’une petite quantité de charbon à la fois, réitérée souvent, et enfin à ne forger des barreaux que de douze ou treize lignes en carré, en les faisant suer à blanc à chaque chaude ; j’ai eu par ces procédés des fers que j’ai envoyés à différentes fileries où ils ont été tirés en fils de fer avec succès.

Il faut aussi du fer de très bonne qualité pour faire la tôle mince dont on fait le fer-blanc : nous n’avons encore en France que quatre manufactures en ce genre, dont celle de Bains en Lorraine est la plus considérable[1]. On sait que c’est en étamant la tôle, c’est-à-dire en la recouvrant d’étain, que l’on fait le fer-blanc ; il faut que l’étoffe de cette tôle soit homogène et très souple pour qu’elle puisse se plier et se rouler sans se fendre ni se gercer, quelque mince qu’elle soit : pour arriver à ce point, on commence par faire de la tôle à la manière ordinaire, et on la bat successivement sous le marteau, en mettant les feuilles en doublons les unes sur les autres jusqu’au nombre de soixante-quatre, et lorsqu’on est parvenu à rendre ces feuilles assez minces, on les coupe avec de grands ciseaux pour les séparer, les ébarber et les rendre carrées ; ensuite on plonge ces feuilles une à une dans des eaux sures ou aigres pour les décaper, c’est-à-dire pour leur enlever la petite couche noirâtre dont se couvre le fer chaque fois qu’il est soumis à l’action du feu, et qui empêcherait l’étain de s’attacher au fer ; ces eaux aigres se font au moyen d’une certaine quantité de farine de seigle et d’un peu d’alun qu’on y mêle ; elles enlèvent cette couche noire du fer, et lorsque les feuilles sont bien nettoyées, on les plonge verticalement dans

  1. Il s’en était élevé une à Morambert en Franche-Comté, qui n’a pu se soutenir, parce que les fermiers généraux n’ont voulu se relâcher sur aucun des droits auxquels cette manufacture était assujettie, comme étant établie dans une province réputée étrangère.