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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/249

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chaudes réitérées, et la pratique par laquelle on a cru remédier à ce défaut, en donnant à chaque morceau de fer la forme de la pièce qu’on veut convertir en acier, a elle même son inconvénient ; car celles de ces pièces, comme sabres, couteaux, rasoirs, etc., qui sont plus minces dans le tranchant que dans le dos, seront trop acier dans la partie mince et trop fer dans l’autre, et d’ailleurs les petites boursouflures qui s’élèvent à leur surface rendraient ces pièces défectueuses : il faut, de plus, que l’acier cémenté soit corroyé, sué et soudé pour avoir de la force et du corps ; en sorte que ce procédé de forger les pièces, avant de les mettre dans le cément, ne peut convenir que pour les morceaux épais, dont on ne veut convertir que la surface en acier.

Pour faire de l’acier avec la fonte de fer, il faut commencer par rendre cette fonte aussi pure qu’il est possible avant de la tirer du fourneau de fusion, et pour cela, si l’on met huit mesures de mine pour faire de la fonte ordinaire, il n’en faudra mettre que six par charge sur la même quantité de charbon, afin que la fonte en devienne meilleure : on pourra aussi la tenir plus longtemps en bain dans le creuset, c’est-à-dire quinze ou seize heures au lieu de douze, elle achèvera pendant ce temps de s’épurer ; ensuite on la coulera en petites gueuses ou lingots, et, pour la dépurer encore davantage, on fera fondre une seconde fois ce lingot dans le feu de l’affinerie ; cette seconde fusion lui donnera la qualité nécessaire pour devenir du bon acier au moyen du travail suivant.

On remettra au feu de l’affinerie cette fonte épurée pour en faire une loupe qu’on portera sous le marteau lorsqu’elle sera rougie à blanc, on la traitera comme le fer ordinaire, mais seulement sous un plus petit marteau, parce qu’il faut aussi que la loupe soit assez petite, c’est-à-dire de vingt-cinq à trente livres seulement ; on en fera un barreau carré de dix ou onze lignes au plus, et, lorsqu’il sera forgé et refroidi, on le cassera en morceaux longs d’environ un pied, que l’on remettra au feu de l’affinerie, en les arrangeant en forme de grille, les uns sur les autres : ces petits barreaux se ramolliront par l’action du feu et se souderont ensemble ; l’on en fera une nouvelle loupe que l’on travaillera comme la première, et qu’on portera de même sous le marteau pour en faire un nouveau barreau, qui sera peut-être déjà de bon acier ; et même, si la fonte a été bien épurée, on aura de l’acier assez bon dès la première fois ; mais, supposé que cette seconde fois l’on n’ait encore que du fer ou du fer mêlé d’acier, il faudra casser de nouveau le barreau en morceaux et en former encore une loupe au feu de l’affinerie, pour la porter ensuite au marteau, et obtenir enfin une barre de bon acier. On sent bien que le déchet doit être très considérable, et d’ailleurs cette méthode de faire de l’acier ne réussit pas toujours ; car il arrive assez souvent qu’en chauffant plusieurs fois ces petites barres on n’obtient pas de l’acier, mais seulement du fer nerveux : ainsi je ne conseillerais pas cette pratique, quoiqu’elle m’ait réussi, vu qu’elle doit être conduite fort délicatement et qu’elle expose à des pertes. Celle que l’on suit en Carinthie, pour faire de même de l’acier par la seule dépuration de la fonte, est plus sûre et même plus simple : on observe d’abord de faire une première fonte, la meilleure et la plus pure qu’il se peut ; cette fonte est coulée en floss, c’est-à-dire en gâteaux d’environ six pieds de long sur un pied de large, et trois à quatre pouces d’épaisseur ; cette floss est portée et présentée par le bout à un feu animé par des soufflets, qui la fait fondre une seconde fois et couler dans un creuset placé sous le foyer. Tout le fond de ce creuset est rempli de poudre de charbon bien battue ; on en garnit de même les parois, et par-dessus la fonte on jette du charbon et du laitier pour la couvrir : après six heures de séjour dans le creuset[1], la fonte étant bien épurée de son laitier, on en prend une loupe d’environ cent quarante à cent cinquante livres, que l’on porte sous le marteau pour être divisée en deux ou trois massets, qui sont ensuite chauffés et étirés en barres,

  1. Six pour la première loupe, et seulement cinq ou quatre pour les suivantes, le creuset étant plus embrasé.