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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/257

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les lames de sabre et d’épée se font avec un acier mélangé d’un peu d’étoffe de fer qui lui donne de la souplesse et de l’élasticité.

Les Orientaux ont mieux que nous le petit art de damasquiner l’acier[1] ; cela ne se fait pas en y introduisant de l’or ou de l’argent, comme on le croit vulgairement, mais par le seul effet d’une percussion souvent réitérée. M. Gau a fait sur cela plusieurs expériences dont il a eu la bonté de me communiquer le résultat[2] : cet habile artiste, qui a porté notre manufacture des armes blanches à un grand point de perfection, s’est convaincu avec

    est beaucoup plus estimé. Les Persans appellent l’une et l’autre sorte d’acier poulard, janherder et acier ondé, pour le distinguer d’avec l’acier d’Europe. C’est de cet acier-là qu’ils font leurs belles lames damasquinées ; ils les fondent en pain rond comme le creux de la main et en petits bâtons carrés. Voyages de Chardin en Perse, etc. ; Amsterdam, 1711, t. II, p. 23.

  1. Les Persans savent parfaitement bien damasquiner avec le vitriol les ouvrages d’acier, comme sabres, couteaux, etc. ;… mais la nature de l’acier dont ils se servent y contribue beaucoup. Cet acier s’apporte de Golconde, et c’est le seul qui se puisse bien damasquiner ; aussi est-il différent du nôtre, car, quand on le met au feu pour lui donner la trempe, il ne lui faut donner qu’une petite rougeur, comme couleur de cerise, et, au lieu de le tremper dans l’eau comme nous faisons, on ne fait que l’envelopper dans un linge mouillé, parce que, si on lui donnait la même chaleur qu’aux nôtres, il deviendrait si dur que dès qu’on le voudrait manier, il se casserait comme du verre. On met cet acier en pain gros comme nos pains d’un sou, et pour savoir s’il est bon et s’il n’y a point de fraude, on le coupe en deux, chaque morceau suffisant pour faire un sabre, car il s’en trouve qui n’a pas été bien préparé et qu’on ne saurait damasquiner. Un de ces pains d’acier, qui n’aura coûté à Golconde que la valeur de neuf ou dix sous, vaut quatre ou cinq abassis en Perse ; et plus on le porte loin, plus il devient cher, car en Turquie on vend le pain jusqu’à trois piastres, et il en vient à Constantinople, à Smyrne, à Alep et à Damas, où anciennement on le transportait. Le plus grand négoce des Indes se rendait au Caire par la mer Rouge ; mais aujourd’hui, autant le roi de Golconde apporte de difficulté à laisser sortir de l’acier de son pays, autant le roi de Perse tâche d’empêcher qu’on n’enlève de celui qui est entré dans son royaume. Je fais toutes ces remarques pour désabuser bien des gens qui croient que les sabres et couteaux qui nous viennent de Turquie se font d’acier de Damas, ce qui est une erreur, parce que, comme je l’ai dit, il n’y a point d’acier au monde que celui de Golconde qu’on puisse damasquiner sans que l’acier s’altère comme le nôtre. Voyages de Tavernier ; Rouen, 1713, t. II, p. 330 et 331.
  2. « Monsieur, de retour à Klingensthal, j’ai fait, comme j’ai eu l’honneur de vous le promettre à Montbard, plusieurs épreuves sur l’acier, pour en fabriquer des lames de sabres et de couteaux de chasse de même étoffe et de même qualité que celles de Turquie, connues sous le nom de damas : les résultats de ces différentes épreuves ont toujours été les mêmes, et je profite de la permission que vous m’avez donnée de vous en rendre compte.

    » Après avoir fait travailler et préparer une certaine quantité d’acier propre à en faire du damas, j’en ai destiné un tiers à recevoir le double de l’argent que j’y emploie ordinairement ; dans le second tiers, j’y ai mis la dose ordinaire, et point d’argent du tout dans le dernier tiers.

    » J’ai eu l’honneur de vous dire, monsieur, de quelle façon je fais ce mélange de l’argent avec de l’acier ; j’ai augmenté de précaution pour mieux enfermer l’argent, et, comme j’ai commencé mes épreuves par les petites barres ou plaques qui en tenaient le double, en donnant à celles du dessus et du dessous le double d’épaisseur des autres, je les ai fait chauffer au blanc bouillant, et ce n’a été qu’avec une peine infinie que l’ouvrier est venu à bout de les souder ensemble : elles paraissaient à l’intérieur l’être parfaitement, et on ne voyait point sur l’enclume qu’il en fût sorti de l’argent. La réunion de ces plaques m’a donné un lingot de neuf pouces de long sur un pouce d’épaisseur et autant de largeur.

    » J’ai ensuite fait remettre au feu ce lingot pour en former une lame de couteau de chasse ; c’est dans cette opération, en aplatissant et en allongeant ce lingot, que les défauts