Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait par le plus grand des hasards que ces combinaisons se trouveraient réunies dans le sein de la terre, et que ce métal pourrait être dans un état de minéralisation naturelle.

L’or ne s’est établi sur le globe que quelque temps après sa consolidation, et même après l’établissement du fer, parce qu’il ne peut pas supporter un aussi grand degré de feu, sans se sublimer ou se fondre : aussi ne s’est-il point incorporé dans la matière vitreuse ; il a seulement rempli les fentes du quartz, qui toujours lui sert de gangue ; l’or s’y trouve dans son état de nature, et sans autre caractère que celui d’un métal fondu ; ensuite il s’est sublimé par la continuité de cette première chaleur du globe, et il s’est répandu sur la superficie de la terre en atomes impalpables et presque imperceptibles.

Les premiers dépôts ou mines primitives de cette matière précieuse ont donc dû perdre de leur masse et diminuer de quantité, tant que le globe a conservé assez de chaleur pour en opérer la sublimation ; et cette perte continuelle, pendant les premiers siècles de la grande chaleur du globe, a peut-être contribué plus qu’aucune autre cause à la rareté de ce métal et à sa dissémination universelle en atomes infiniment petits : je dis universelle, parce qu’il y a peu de matières à la surface de la terre qui n’en contiennent une petite quantité ; les chimistes en ont trouvé dans la terre végétale, et dans toutes les autres terres qu’ils ont mises à l’épreuve[1].

Au reste, ce métal, le plus dense de tous, est en même temps celui que la nature a produit en plus petite quantité : tout ce qui est extrême est rare, par la raison même qu’il est extrême ; l’or pour la densité, le diamant pour la dureté, le mercure pour la volatilité, étant extrêmes en qualité, sont rares en quantité. Mais, pour ne parler ici que de l’or, nous observerons d’abord que, quoique la nature paraisse nous le présenter sous différentes formes, toutes néanmoins ne diffèrent les unes des autres que par la quantité et jamais par la qualité, parce que ni le feu, ni l’eau, ni l’air, ni même tous ces éléments combinés, n’altèrent pas son essence, et que les acides simples qui détruisent les autres métaux ne peuvent l’entamer[2].

En général, on trouve l’or dans quatre états différents, tous relatifs à sa seule divisibilité, savoir, en poudre, en paillettes, en grains et en filets séparés ou conglomérés. Les mines primordiales de ce métal sont dans les hautes montagnes, et forment des filons dans le quartz jusqu’à d’assez grandes profondeurs ; elles se sont établies dans les fentes

  1. L’or trouvé par nos chimistes récents, dans la terre végétale, est une preuve de la dissémination universelle de ce métal, et ce fait paraît avoir été connu précédemment ; car Boërhaave parle d’un programme présenté aux États-Généraux, sous ce titre : De arte extrahendi aurum e qualibet terrâ arvensi.
  2. M. Tillet, savant physicien de l’Académie des sciences, s’est assuré que l’acide nitreux, rectifié autant qu’il est possible, ne dissout pas un seul atome de l’or qu’on lui présente : à la vérité, l’eau-forte ordinaire semble attaquer un peu les feuilles d’or par une opération forcée, en faisant bouillir, par exemple, quatre ou cinq onces de cet acide sur un demi-gros d’or pur réduit en une lame très mince, jusqu’à ce que toute la liqueur soit réduite au poids de quelques gros ; alors la petite quantité d’acide qui reste se trouve chargée de quelques particules d’or, mais le métal y est dans l’état de suspension, et non pas véritablement dissous ; puisqu’au bout de quelque temps, il se précipite au fond du flacon, quoique bien bouché, ou bien il surnage à la surface de la liqueur avec son brillant métallique, au lieu que dans une véritable dissolution, telle qu’on l’opère par l’eau régale, la combinaison du métal est si parfaite avec les deux acides réunis, qu’il ne les quitte jamais de lui-même (*) : d’après ce rapport de M. Tillet, il est aisé de concevoir que l’acide nitreux, forcé d’agir par la chaleur, n’agit ici que comme un corps qui en frotterait un autre, et en détacherait par conséquent quelques particules, et dès lors on peut assurer que cet acide ne peut ni dissoudre, ni même attaquer l’or par ses propres forces.

    (*) Remarque communiquée à M. de Buffon par M. Tillet, avril 1781.