Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/280

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la vertu de dissoudre l’argent sans attaquer l’or, et par conséquent la puissance de les séparer ; mais le départ par l’acide nitreux est plus complet et bien plus facile ; il se fait par la voie humide et à l’aide d’une très petite chaleur ; au lieu que le départ par l’acide marin, qu’on appelle départ concentré, ne peut se faire que par une suite de procédés assez difficiles ; 3o le soufre a aussi la même propriété de dissoudre l’argent sans toucher à l’or, mais ce n’est qu’à l’aide de la fusion, c’est-à-dire d’une chaleur violente ; et, comme le soufre est très inflammable et qu’il se brûle et se volatilise en grande partie, en se mêlant au métal fondu, on préfère l’antimoine pour faire cette espèce de départ sec, parce que le soufre étant uni dans l’antimoine aux parties régulines de ce demi-métal, il résiste plus à l’action du feu, et pénètre le métal en fusion dans lequel il scorifie l’argent et laisse l’or au-dessous. De ces trois agents l’acide nitreux est celui qu’on doit préférer[1], la manipulation des deux autres étant plus difficile et la purification plus incomplète que par le premier.

On doit observer que, pour faire par l’acide nitreux le départ avec succès, il ne faut pas que la quantité d’or contenue dans l’argent soit de plus de deux cinquièmes ; car alors cet acide ne pourrait dissoudre les parties d’argent qui, dans ce cas, seraient défendues et trop couvertes par celles de l’or pour être attaquées et saisies ; s’il se trouve donc plus de deux cinquièmes d’or dans la masse dont on veut faire le départ, on est obligé de la faire fondre et d’y ajouter autant d’argent qu’il en faut pour qu’il n’y ait en effet que deux cinquièmes d’or dans cette nouvelle masse ; ainsi l’on s’assurera d’abord de cette proportion, et il me semble que cela serait facile par la balance hydrostatique, et que ce moyen serait bien plus sûr que la pierre de touche et les aiguilles alliées d’or et d’argent à différentes doses, dont se servent les essayeurs pour reconnaître cette quantité dans la masse de ces métaux alliés : on a donc eu raison de proscrire cette pratique dans les monnaies de France[2] ; car ce n’est qu’au vrai un tâtonnement dont il ne peut résulter qu’une estimation incertaine, tandis que, par la différente pesanteur spécifique de ces deux métaux, on aurait un résultat précis de la proportion de la quantité de chacun dans la masse alliée dont on veut faire le départ. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on s’est à peu près assuré de cette proportion, et que l’or n’y est que pour un quart ou au-dessous, on doit employer de l’eau-forte ou acide nitreux bien pur, c’est-à-dire exempt de tout autre acide, et surtout du vitriolique et du marin : on verse cette eau-forte sur le métal, réduit en grenailles ou en lames très minces ; il en faut un tiers de plus qu’il n’y a d’argent dans l’alliage ; on aide

  1. MM. Brandt, Schoeffer, Bergman et d’autres, ayant avancé que l’acide nitreux, quoique très pur, pouvait dissoudre une certaine quantité d’or, et cet effet paraissant devoir influer sur la sûreté de l’importante opération du départ, les chimistes de notre Académie des sciences ont été chargés de faire des expériences à ce sujet, et ces expériences ont prouvé que l’acide nitreux n’attaque point ou très peu l’or, puisque, après en avoir séparé l’argent qui y était allié, et dont on connaissait la proportion, on a toujours retrouvé juste la même quantité d’or. « Cependant ils ajoutent, dans le rapport de leurs épreuves, qu’il ne faut pas conclure que, dans aucun cas, l’acide nitreux ne puisse faire éprouver à l’or quelque très faible déchet. L’acide nitreux le plus pur se charge de quelques particules d’or ; mais nous pouvons assurer que les circonstances nécessaires à la production de cet effet sont absolument étrangères au départ d’essai ; que, dans ce dernier, lorsqu’on le pratique suivant les règles et l’usage reçu, il ne peut jamais y avoir le moindre déchet sur l’or. » Rapport sur l’opération du départ, dans le Journal de physique, février 1781, p. 142.
  2. M. Tillet m’écrit, à ce sujet, qu’on ne fait point usage des touchaux pour le travail des monnaies de France ; le titre des espèces n’y est constaté que par l’opération de l’essai ou du départ : les orfèvres emploient, il est vrai, le touchau dans leur maison commune, mais ce n’est que pour les menus ouvrages en si petit volume qu’ils offrent à peine la matière de l’essai en règle, et qui sont incapables de supporter le poinçon de marque.