Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/395

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ne se trouve dans les montagnes produites par le feu primitif, ni dans les fentes du quartz : on voit de même qu’on ne trouve point de cinabre mêlé avec les mines des autres métaux[1], à l’exception de celles de fer en rouille, qui, comme l’on sait, sont de dernière formation. L’établissement des mines primordiales d’or, d’argent et de cuivre dans la roche quartzeuse est donc bien antérieur à celui des mines de mercure ; et dès lors, n’en doit-on pas conclure que ces métaux, fondus ou sublimés par le feu primitif, n’ont pu saisir ni s’assimiler une matière qui, par sa volatilité, était alors comme l’eau, reléguée dans l’atmosphère ; que dès lors, il n’est pas possible que ces métaux contiennent un seul atome de cette matière volatile et que, par conséquent, on doit renoncer à l’idée d’en tirer le mercure ou le principe mercuriel qui ne peut s’y trouver ? Cette idée du mercure, principe existant dans l’or et l’argent, était fondée sur la grande affinité et l’attraction très forte qui s’exerce entre le mercure et ces métaux ; mais on doit considérer que toute attraction, toute pénétration qui se fait entre un solide et un liquide est généralement proportionnelle à la densité des deux matières, et que celle du mercure étant très grande et ses molécules infiniment petites, il peut aisément pénétrer les pores de ces métaux, et les humecter comme l’eau humecte la terre.

Mais suivons mes assertions : j’ai dit que le cinabre n’était point un vrai minéral, mais un simple composé de mercure saisi par le foie de soufre, et cela me paraît démontré par la composition du cinabre artificiel fait par la voie humide : il ne faut que le comparer avec la mine de mercure pour être convaincu de leur identité de substance. Le cinabre naturel en masse est d’un rouge très foncé ; il est composé d’aiguilles luisantes appliquées longitudinalement les unes sur les autres, ce qui seul suffit pour démontrer la présence réelle du soufre : on en fait en Hollande du tout pareil et en grande quantité ; nous en ignorons la manipulation, mais nos chimistes l’ont à peu près devinée ; ils font du cinabre artificiel par le moyen du feu, en mêlant du mercure au soufre fondu[2], et ils en font aussi par la voie humide, en combinant le mercure avec le foie de soufre[3].

  1. On observe que dans les mines de cinabre d’Almaden il n’y a aucun autre métal. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1719, p. 350.
  2. On fait du cinabre artificiel semblable en tout au cinabre naturel… Pour cela on mêle quatre parties de mercure coulant avec une partie de soufre qu’on a fait fondre dans un pot de terre non vernissé ; on agite ce mélange qui s’unit très facilement à l’aide de la chaleur ; le mercure, uni au soufre, devient noirâtre… La force d’affinité s’exerce avec tant de puissance entre ces deux matières, qu’il en résulte une combinaison… On laisse ce mélange brûler pendant une minute ; après quoi on retire la matière, on la pulvérise dans un mortier de marbre et, par cette trituration, elle se réduit en une poudre violette… On fait sublimer cette poudre en la mettant dans un matras à un feu de sable qu’on augmente graduellement jusqu’à ce que le fond du matras soit bien rouge. Le sublimé qu’on obtient par cette opération est en masse aiguillée, de couleur rouge brun, comme l’est le cinabre naturel lorsqu’il n’est pas pulvérisé… Par ce procédé, donné par M. Baumé, on obtient, à la vérité, du cinabre, mais qui n’est pas si beau que celui que l’on fait en Hollande, où il y a des manufactures en grand de cinabre artificiel, mais dont les procédés ne nous sont pas connus au juste. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Cinabre.
  3. On peut aussi faire du cinabre artificiel par la voie humide, en appliquant, soit au mercure seul, soit aux dissolutions de mercure par les acides, mais surtout par l’acide nitreux, les différentes espèces de foie de soufre,… et l’on doit remarquer que ce cinabre, fait par la voie humide, a une couleur rouge vif de feu, infiniment plus éclatante que celle du cinabre qu’on obtient par la sublimation ;… mais cette différence ne vient que de ce que le cinabre sublimé est en masse plus compacte que l’autre, ce qui lui donne une couleur rouge si foncée qu’il paraît rembruni ; mais, en le broyant sur un porphyre en poudre très fine, il prend un rouge vif éclatant… Celui qu’on obtient par la voie humide n’étant point en masse comme le premier, mais en poudre fine, paraît donc plus rouge par cette seule raison. Idem, ibid.