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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/413

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la mine d’antimoine par une première fusion, parce qu’il ne lui faut pas un grand feu pour la fondre, et qu’en la mettant dans des vaisseaux percés de petits trous, elle coule avec son soufre et tombe dans d’autres vases, en laissant tomber dans les premiers toute la pierre ou la terre dont elle était mêlée. Cet antimoine de première fusion, et qui contient encore son soufre, s’appelle antimoine cru, et il est déjà bien différent de ce qu’il était dans sa mine où il se présente sans aucune forme régulière ni structure distincte, et souvent en masses informes, qu’on reconnaît néanmoins pour des matières minérales à leur tissu serré, à leur grain fin comme celui de l’acier, et au poli qu’on peut leur donner ou qu’elles ont naturellement, mais qui s’éloignent en même temps de l’essence métallique, en ce qu’elles sont cassantes comme le verre, et même beaucoup plus friables. Le minerai d’antimoine se présente aussi en petites masses composées de lames minces comme celles de la galène de plomb, mais presque toujours disposées d’une manière assez confuse. Toutes ces mines d’antimoine se fondent sans se décomposer, c’est-à-dire sans se séparer des principes minéralisateurs avec lesquels ce minéral est uni, et, dans cet état qu’on obtient aisément par la liquation, l’antimoine a déjà pris une forme plus régulière et des caractères plus décidés : il est alors d’un gris bleuâtre et brillant, et son tissu est composé de longues aiguilles fines très distinctes, quoique posées les unes sur les autres, encore assez irrégulièrement.

Lorsqu’on a obtenu par la fonte cet antimoine cru, ce n’est encore, pour ainsi dire, qu’un minerai d’antimoine qu’il faut ensuite séparer de son soufre : pour cela, on le réduit en poudre qu’on met dans un vaisseau de terre évasé ; on le chauffe par degrés en le remuant continuellement ; le soufre s’évapore peu à peu, et l’on ne cesse le feu que quand il ne s’élève plus de vapeurs sulfureuses. Dans cette calcination, comme dans toutes les autres, l’air s’attache à la surface des parties du minéral qui, par cette addition de l’air, augmente de volume et prend la forme d’une chaux grise : pour obtenir l’antimoine en régule, il faut débarrasser cette chaux de l’air qu’elle a saisi en lui présentant quelque matière inflammable avec laquelle l’air, ayant plus d’affinité, laisse l’antimoine dans son premier état et même plus pur et plus parfait qu’il ne l’était avant la calcination ; mais, si l’on continue le feu sur la chaux d’antimoine, sans y mêler des substances inflammables, on n’obtient, au lieu de régule, qu’une matière compacte et cassante, d’un jaune rougeâtre plus ou moins foncé, quelquefois transparente et quelquefois opaque et noire si la calcination n’a été faite qu’à demi ; les chimistes ont donné le nom de foie d’antimoine à cette matière opaque, et celui de verre d’antimoine à la première qui est transparente : on fait ordinairement passer l’antimoine cru par l’un de ces trois états de chaux, de foie ou de verre pour avoir son régule ; mais on peut aussi tirer ce régule immédiatement de l’antimoine cru[1], en le réduisant en poudre, et le faisant fondre en vaisseaux clos avec addition de quelques matières, qui ont plus d’affinité avec le soufre qu’avec l’antimoine, en sorte qu’après cette réduction, ce n’est plus de l’antimoine cru mêlé de soufre, mais de l’antimoine épuré, perfectionné par les mêmes moyens que l’on perfectionne le fer pour le convertir en acier[2] ; ce régule d’an-

  1. « Ce régule se tire également de l’antimoine cru, par une sorte de précipitation par la voie sèche ; on le mêle pour cela avec des matières qui ont peu d’affinité avec le soufre ; le mélange étant dissous par le feu, la fluidité met en jeu ces affinités, et le régule, plus pesant que les scories sulfureuses, forme au fond du creuset un beau culot cristallisé, que les alchimistes ont pris pour l’étoile des Mages. » Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. Ier, p. 254. — Ce nom même de régule, ou petit roi, a été donné par eux à ce culot métallique de l’antimoine, qui semblait, au gré de leur espérance, annoncer l’arrivée du grand roi, c’est-à-dire de l’or.
  2. Cette comparaison est d’autant plus juste, que, quand on convertit par la cémentation le fer en acier, il s’élève à la surface de fer un grand nombre de petites boursouflures qui ne sont remplies que de l’air fixe qu’il contenait, et dont le feu fixe prend la place ; car sa