Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/505

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orientales de l’Asie ; et Chardin, en adoptant cette opinion[1], dit que les émeraudes qui, de son temps, se trouvaient aux Indes orientales, en Perse et en Égypte, venaient probablement de ce commerce des Péruviens qui avaient traversé la mer du Sud longtemps avant que les Espagnols eussent fait la conquête de leur pays. Mais était-il nécessaire de recourir à une supposition aussi peu fondée pour expliquer pourquoi l’on a cru ne voir aux Indes orientales, en Égypte et en Perse, que des émeraudes des Indes occidentales ? La raison en est bien simple : c’est que les émeraudes sont les mêmes partout et que, comme les anciens Péruviens en avaient ramassé une très grande quantité, les Espagnols en ont tant apporté aux Indes orientales qu’elles ont fait disparaître le nom et l’origine de celles qui s’y trouvaient auparavant, et que, par leur entière et parfaite ressemblance, ces émeraudes de l’Asie ont été et sont encore aujourd’hui confondues avec les émeraudes de l’Amérique.

Cette opinion, que nous réfutons, paraît n’être que le produit d’une erreur de nomenclature : les naturalistes récents ont donné, avec les joailliers, la dénomination de pierres orientales à celles qui ont une belle transparence et qui, en même temps, sont assez dures pour recevoir un poli vif ; et ils appellent pierres occidentales[2] celles qu’ils croient être du même genre et qui ont moins d’éclat et de dureté. Et, comme l’émeraude n’est pas plus dure en Orient qu’en Occident, ils en ont conclu qu’il n’y avait point d’émeraudes orientales, tandis qu’ils auraient dû penser que cette pierre étant partout la même, comme le cristal, l’améthyste, etc., elle ne pouvait pas être reconnue ni dénommée par la différence de son éclat et de sa dureté.

Les émeraudes étaient seulement plus rares et plus chères avant la découverte de l’Amérique ; mais leur valeur a diminué en même raison que leur quantité s’est augmentée. « Les lieux, dit Joseph Acosta, où l’on a trouvé beaucoup d’émeraudes (et où l’on en trouvait encore de son temps en plus grande quantité) sont au nouveau royaume de Grenade et au Pérou ; proche de Manta et de Porto-Vieil, il y a un terrain qu’on appelle terres des émeraudes, mais on n’a point encore fait la conquête de cette terre. Les

    argent à quatre-vingts ou cent pour cent jusqu’aux Philippines, sans pouvoir rien acheter, et d’en faire de même des Philippines jusqu’à la Nouvelle-Espagne. C’est donc là ce qui se pratiquait pour les émeraudes, avant que les Indes occidentales fussent découvertes ; car elles ne venaient en Europe que par cette longue voie et ce grand tour : tout ce qui n’était pas beau demeurait en ce pays-là, et tout ce qui était beau passait en Europe. Les six Voyages de Tavernier, etc. ; Rouen, 1713, t. IV, p. 42 et suiv.

  1. Les Persans font une distinction entre les émeraudes comme nous faisons entre les rubis ; ils appellent la plus belle : émeraude d’Égyte, la sorte suivante émeraude vieille, et la troisième sorte émeraude nouvelle. Avant la découverte du nouveau monde, les émeraudes leur venaient d’Égypte, plus hautes en couleur, à ce qu’ils prétendent, et plus dures que les émeraudes d’Occident. Ils m’ont fait voir plusieurs fois de ces émeraudes qu’ils appellent zemroud Mesri ou de Misraïm, l’ancien nom d’Égypte, et aussi zemroud asvaric, d’Asvan ville de la Thébaïde, nommée Syène par les anciens géographes ; mais, quoiqu’elles me parussent très belles, d’un vert foncé et d’un poliment fort vif, il me semblait que j’en avais vu d’aussi belles des Indes occidentales. Pour ce qui est de la dureté, je n’ai jamais eu le moyen de l’éprouver ; et, comme il certain qu’on n’entend point parler depuis longtemps des mines d’émeraudes en Égypte, il pourrait être que les émeraudes d’Égypte y étaient apportées par le canal de la mer Rouge, et venaient ou des Indes occidentales par les Philippines, ou du royaume du Pégu ou de celui de Golconde sur la côte de Coromandel, d’où l’on tire journellement des émeraudes. Voyage de Chardin ; Amsterdam, 1711, t. II, p. 25.
  2. Boëce paraît être l’auteur de la distinction des émeraudes en orientales ou occidentales : il caractérise les premières par leur grand brillant, leur pureté et leur excès de dureté. Il se trompe quant à ce dernier point, et de Laët s’est de même trompé d’après lui, car on ne trouve pas entre les émeraudes cette différence de dureté, et toutes n’ont à peu près que la dureté du cristal de roche.