Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le connaissons ; on doit donc penser qu’au sortir de la terre le jade est moins dur que quand il a perdu toute son humidité par le dessèchement à l’air, et que c’est dans cet état humide que les sauvages de l’Amérique l’ont travaillé[1]. On fait dans l’Indoustan des tasses et d’autres vases de jade vert ; à la Chine, on sculpte en magots le jade blanc ; l’on en fait aussi des manches de sabre, et partout ces pierres ouvragées sont à bas prix. Il est donc certain qu’on a trouvé les moyens de creuser, figurer et graver le jade avec peu de travail et sans se servir de poudre de diamant.

Le jade vert n’a pas plus de valeur réelle que le jade blanc, et il n’est estimé que par des propriétés imaginaires, comme de préserver ou guérir de la pierre, de la gravelle, etc., ce qui lui a fait donner le nom de pierre néphrétique. Il serait difficile de deviner sur quel fondement les Orientaux et les Américains se sont également, et sans communication, infatués de l’idée des vertus médicinales de cette pierre : ce préjugé s’est étendu en Europe et subsiste encore dans la tête de plusieurs personnes, car on m’a demandé souvent à emprunter quelques-unes de ces pierres vertes pour les appliquer, comme amulettes, sur l’estomac et sur les reins ; on les taille même en petites plaques, un peu courbées pour les rendre plus propres à cet usage.

Les plus grands morceaux de jade que j’aie vus n’avaient que neuf ou dix pouces de longueur, et tous, grands et petits, ont été taillés et figurés. Au reste, nous n’avons aucune connaissance précise sur les matières dont le jade est environné dans le sein de la terre, et nous ignorons quelle peut être la forme qu’il affecte de préférence. Nous ne pouvons donc qu’exhorter les voyageurs éclairés à observer cette pierre dans le lieu de sa formation : ces observations nous fourniraient plus de lumières que l’analyse chimique sur son origine et sa composition.

En attendant ce supplément à nos connaissances, je crois qu’on peut présumer avec fondement que le jade, tel que nous le connaissons, est autant un produit de l’art que de la nature ; que, quand les sauvages l’ont travaillé, percé et figuré, c’était une matière tendre qui n’a acquis sa grande dureté et sa pleine densité que par l’action du feu auquel ils ont exposé leurs haches et les autres morceaux qu’ils avaient percés ou gravés dans leur état de mollesse ou de moindre dureté ; j’appuie cette présomption sur plusieurs raisons et sur quelques faits : 1o j’ai vu une petite hache de jade olivâtre d’environ quatre pouces de longueur sur deux pouces et demi de largeur, et un pouce d’épaisseur à la base, venant des terres voisines de la rivière des Amazones, et cette hache n’avait pas à beaucoup près la dureté des autres haches de jade ; on pouvait l’entamer au couteau, et dans cet état elle n’aurait pu servir à l’usage auquel sa forme de hache démontrait qu’elle était destinée ; je suis persuadé qu’il ne lui manquait que d’avoir été chauffée, et que par la seule action du feu elle serait devenue aussi dure que les autres morceaux de jade qui ont la même forme. Les expériences de M. d’Arcet confirment cette présomption, puisqu’il a reconnu qu’on augmente encore la dureté du jade en le chauffant ;

2o Le poli gras et savonneux du jade indique que sa substance est imprégnée de molécules talqueuses qui lui donnent cette douceur au toucher, et ceci se confirme par un second rapport entre le jade et les pierres talqueuses, telles que les serpentines et pierres ollaires, qui toutes sont molles dans leurs carrières et qui prennent à l’air, et surtout au feu, un grand degré de dureté ;

3o Comme le jade se fond, suivant M. Demeste, à un feu violent, et que les micas et le talc peuvent s’y fondre de même et sans intermède, je serais porté à croire que cette pierre pourrait n’être composée que de quartz mêlé d’une assez grande quantité de mica ou de

  1. Seyfried raconte qu’on trouve auprès du fleuve des Amazones une terre verdâtre qui est tout à fait molle sous l’eau, mais qui, étant à l’air, acquiert la dureté du diamant. Mémoires de l’Académie de Berlin, année 1747.