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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/582

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Au reste, je ne nie pas qu’il ne se trouve des molybdènes mêlées de pyrites, et qui dès lors exhalent au feu une odeur sulfureuse ; mais, malgré la confiance que j’ai aux lumières de mon savant ami M. de Morveau, je ne vois pas ici de raison suffisante pour être de son avis, et regarder la plombagine comme une matière toute différente de la molybdène ; je donne ici copie de la lettre qu’il m’a écrite à ce sujet[1], dans laquelle j’avoue que je ne comprends pas pourquoi cet habile chimiste dit que la molybdène est mêlée de soufre, tandis que M. Schéele assure le contraire, et qu’en effet elle n’en répand pas l’odeur sur les charbons ardents.

Je persiste donc à penser que la molybdène pure n’est composée que de particules talqueuses mêlées avec une argile savonneuse, et teintes par une dissolution ferrugineuse : cette matière est tendre, et donne sa couleur plombée et luisante à toutes les matières sur lesquelles on la frotte ; elle résiste plus qu’aucune autre à la violente action du feu ; elle s’y durcit, et l’on en fait de grands creusets pour l’usage des monnaies. J’ai moi-même fait usage de plusieurs de ces creusets qui résistent très longtemps à l’action du plus grand feu.

On trouve de la molybdène plus ou moins pure en Angleterre, en Allemagne, en Espagne[2] ; et je suis persuadé qu’en faisant des recherches en France, dans les contrées

  1. « Je ne doute pas qu’on ne fasse des mélanges avec du soufre pour des crayons, et que ce que l’on m’avait autrefois vendu en masse pour de la molybdène ne fût un de ces mélanges ; mais je ne puis plus douter maintenant de ce que j’ai vu dans mes propres expériences sur des morceaux qui tenaient à la roche quartzeuse, comme celui que vous avez tenu venant de Suède, et qui par conséquent ne peuvent être des compositions artificielles : or, des sept échantillons, tous tenant au rocher, que j’ai éprouvés et qui se trouvent ici dans les Cabinets de M. de Chamblanc et de M. de Saint-Mémin, quatre se sont trouvés être de la molybdène, et trois de la plombagine. Il est facile de les confondre à la vue, mais il est tout aussi facile de les distinguer par leurs principes constituants, car il n’y a rien de si différent. La molybdène est composée de soufre et d’un acide particulier : la plombagine est un composé de gaz méphitique et de feu fixe, ou phlogistique, avec cinq cent soixante-seizième de fer. J’ai fait en dernier lieu le foie de soufre avec les quatre molybdènes dont je vous ai parlé ; et, pour la plombagine, j’avais déjà répété, au cours de l’année dernière, toutes les expériences de M. Schéele, que je m’étais fait traduire, et dont la traduction a été imprimée dans le Journal de physique de février dernier. Ce qui me persuade que cette distinction entre la plombagine et la molybdène est présentement aussi connue des Anglais que des Suédois et des Allemands, c’est que M. Kirwan, de la Société royale de Londres, m’écrivit, peu de temps après, que j’avais rendu un vrai service aux chimistes français en publiant ce morceau dans leur langue, parce qu’ils ne paraissaient pas au courant des travaux des étrangers. » Lettre de M. de Morveau à M. de Buffon, datée de Dijon, 5 décembre 1782.
  2. « Nous partîmes de Cazalla (en Espagne), et arrivâmes à un petit village nommé le Real de Monasterio : à une demi-lieue de là je découvris une mine de plomb à crayonner, qui est une espèce de molybdène, non de la véritable, celle-ci ne se trouve que dans les bancs de pierre de grès, mêlée quelquefois avec le granit. Le terrain est pierreux et produit de bons chênes, etc… Je ne sais quel nom donner à cette matière en notre langue, parce que je crois qu’on ne la connaît point : en terme d’histoire naturelle on l’appelle molybdœna nigrica fabrilis. C’est une substance noirâtre, de la couleur du plomb, cassante, micacée et douce au tact comme le savon. Dans le commerce, les Français la nomment crayon d’Angleterre, parce que dans la province de Cumberland il y a une mine de molybdène avec laquelle on fait ces fuseaux appelés communément crayons, dont on se sert pour écrire et dessiner ; elle laisse sur le papier une trace noirâtre, d’un reluisant de perle ou de talc. Les Anglais sont si jaloux de cette mine, ou pour mieux dire ils entendent si bien leurs intérêts et le prix de leur industrie, qu’il est défendu, sous des peines graves, d’emporter hors du pays la molybdène qui n’est pas convertie en forme