Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/618

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par la multiplication de ces animaux marins revêtus de matière coquilleuse : leur nombre est si grand, leur pullulation si prompte, si abondante, et leurs dépouilles si volumineuses, qu’elles nous préparent au fond de la mer de nouveaux continents, surmontés de collines calcaires, que les eaux laisseront à découvert pour la postérité, comme elles nous ont laissé ceux que nous habitons.

Toute la matière calcaire ayant été primitivement formée dans l’eau, il n’est pas surprenant qu’elle en contienne une grande quantité ; toutes les matières vitreuses au contraire, qui ont été produites par le feu, n’en contiennent point du tout, et néanmoins c’est par l’intermède de l’eau que s’opèrent également les concrétions secondaires et les pétrifications vitreuses et calcaires ; les coquilles, les oursins, les bois convertis en cailloux, en agates, ne doivent ce changement qu’à l’infiltration d’une eau chargée du suc vitreux, lequel prend la place de leur première substance à mesure qu’elle se détruit ; ces pétrifications vitreuses, quoique assez communes, le sont cependant beaucoup moins que les pétrifications calcaires, mais souvent elles sont plus parfaites, et présentent encore plus exactement la forme, tant extérieure qu’intérieure des corps, telle qu’elle était avant la pétrification : cette matière vitreuse, plus dure que la calcaire, résiste mieux aux chocs, aux frottements des autres corps, ainsi qu’à l’action des sels de la terre et à toutes les causes qui peuvent altérer, briser et réduire en poudre les pétrifications calcaires.

Une troisième sorte de pétrification qui se fait de même par le moyen de l’eau, et qu’on peut regarder comme une minéralisation, se présente assez souvent dans les bois devenus pyriteux, et sur les coquilles recouvertes, et quelquefois pénétrées de l’eau chargée des parties ferrugineuses que contenaient les pyrites : ces particules métalliques prennent peu à peu la place de la substance du bois qui se détruit, et, sans en altérer la forme, elles le changent en mines de fer ou de cuivre. Les poissons dans les ardoises, les coquilles, et particulièrement les cornes d’Ammon dans les glaises, sont souvent recouverts d’un enduit pyriteux qui présente les plus belles couleurs : c’est à la décomposition des pyrites, contenues dans les argiles et les schistes, qu’on doit rapporter cette sorte de minéralisation qui s’opère de la même manière et par les mêmes moyens que la pétrification calcaire ou vitreuse.

Lorsque l’eau chargée de ces particules calcaires, vitreuses ou métalliques, ne les a pas réduites en molécules assez ténues pour pénétrer dans l’intérieur des corps organisés, elles ne peuvent que s’attacher à leur surface, et les envelopper d’une incrustation plus ou moins épaisse : les eaux qui découlent des montagnes et collines calcaires forment pour la plupart des incrustations dans leurs tuyaux de conduite et autour des racines d’arbres et autres corps qui résident sans mouvement dans l’étendue de leurs cours, et souvent ces corps incrustés ne sont pas pétrifiés ; il faut, pour opérer la pétrification, non seulement plus de temps, mais plus d’atténuation dans la matière dont les molécules ne peuvent entrer dans l’intérieur des corps, et se substituer à leur première substance que quand elles sont dissoutes et réduites à la plus grande ténuité : par exemple, ces belles pierres nouvellement découvertes, et auxquelles on a donné le nom impropre de marbres opalins, sont plutôt des incrustations ou des concrétions que des pétrifications, puisqu’on y voit des fragments de burgos et de moules de magellan avec leurs couleurs : ces coquilles n’étaient donc pas dissoutes lorsqu’elles sont entrées dans ces marbres ; elles n’étaient que brisées en petites parcelles qui se sont mêlées avec la poudre calcaire dont il sont composés.

Le suc vitreux, c’est-à-dire l’eau chargée de particules vitreuses, forme rarement des incrustations, même sur les matières qui lui sont analogues : l’émail quartzeux, qui revêt certains blocs de grès, est un exemple de ces incrustations ; mais d’ordinaire les molécules du suc vitreux sont assez atténuées, assez dissoutes pour pénétrer l’intérieur des corps, et prendre la place de leur substance à mesure qu’elle se détruit ; c’est là le vrai caractère