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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/74

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enfin, il ne resterait aucun doute sur la conformité de nature entre cet ambre jaune ou succin et l’ambre gris, si ce dernier se trouvait également dans le sein de la terre et dans la mer ; mais, jusqu’à ce jour, il n’y a qu’un seul homme[1] qui ait dit qu’on a trouvé de l’ambre gris dans la terre en Russie ; néanmoins, comme l’on n’a pas d’autres exemples qui puissent confirmer ce fait, et que tout l’ambre gris que nous connaissons a été ou tiré de la mer, ou rejeté par ses flots, on doit présumer que c’est dans la mer seulement que l’huile et la matière gélatineuse dont il est composé se trouvent dans l’état nécessaire à sa formation. En effet, le fond de la mer doit être revêtu d’une très grande quantité de substance gélatineuse animale par la dissolution de tous les corps des animaux qui y vivent et périssent[2], et cette matière gélatineuse doit y être tenue dans un état de mollesse et de fraîcheur, tandis que cette même matière gélatineuse des animaux terrestres, une fois enfouie dans les couches de la terre, s’est bientôt entièrement dénaturée par le dessèchement ou le mélange qu’elle a subi : ainsi ce n’est que dans le fond de la mer que doit se trouver cette matière dans son état de fraîcheur ; elle y est mêlée avec un bitume liquide ; et, comme la liquidité des bitumes n’est produite que par la chaleur des feux souterrains, c’est aussi dans les mers dont le fond est chaud, comme celles de la Chine et du Japon, qu’on trouve l’ambre gris en plus grande quantité ; et il paraît encore que c’est à la matière gélatineuse, molle dans l’eau, et qui prend de la consistance par le dessèchement, que l’ambre gris doit la mollesse qu’on lui remarque tant qu’il est dans la mer, et la propriété de se durcir promptement en se desséchant à l’air, tout comme on peut croire que c’est par l’intermède de la partie gommeuse de sa gomme-résine que le succin peut avoir dans les eaux de la mer une demi-fluidité.

L’ambre gris, quoique plus précieux que l’ambre jaune, est néanmoins plus abondant : la quantité que la nature en produit est très considérable, et on le trouve presque toujours en morceaux bien plus gros que ceux du succin[3], et il serait beaucoup moins rare s’il ne servait pas de pâture aux animaux. Les endroits où la mer le rejette en plus grande quantité dans l’ancien continent sont les côtes des Indes méridionales[4], et particulièrement

  1. J’ajouterai sans hésiter, dit l’auteur, que la formation de l’ambre gris est la même que celle de l’ambre jaune ou succin, parce que je sais qu’il n’y a pas longtemps qu’on a trouvé en Russie de l’ambre gris en fouillant la terre. Collect. acad., partie étrangère, t. IV, p. 297.
  2. M. de Monthéliard a observé, en travaillant à l’histoire des insectes, qu’il y a plusieurs classes d’animaux et insectes marins, tels que les polypes et autres, dont la chair est parfumée, et il est tout naturel que cette matière soit entrée dans la composition de l’ambre gris.
  3. Le capitaine William Keching dit que les Maures lui avaient appris qu’on avait trouvé sur les côtes de Monbassa, de Madagoxa, de Pata et de Brava, de prodigieuses masses d’ambre gris, dont quelques-unes pesaient jusqu’à vingt quintaux, et si grosses enfin qu’une seule pouvait cacher plusieurs hommes. Histoire générale des Voyages, t. Ier, p. 469. — Plusieurs voyageurs parlent de morceaux de cinquante et de cent livres pesant. Voyez Linscot, les anciennes relations des Indes, l’Histoire d’Éthiopie, par Gaëtan Charpy, etc.
  4. La mer jette à Jolo beaucoup d’ambre : on assure à Manille qu’avant que les Espagnols eussent pris possession de cette île, les naturels ne faisaient pas de cas de l’ambre, et que les pêcheurs s’en servaient pour faire des torches ou flambeaux, avec lesquels ils allaient pêcher pendant la nuit, mais qu’eux, Espagnols, en relevèrent bientôt le prix…

    La mer apporte l’ambre sur les côtes de Jolo vers la fin des vents d’ouest ou d’aval : on y en a quelquefois trouvé de liquide comme en fusion, lequel, ayant été ramassé et bénéficié, s’est trouvé très fin et de bonne qualité. Je ne rapporte point en détail ce que pensent les naturels de Jolo sur la nature de l’ambre… Ce qui est très singulier, c’est la quantité qui s’en trouve sur les côtes occidentales de cette île, quoique très petite, puisqu’elle n’a que quatre à cinq lieues du nord au sud, pendant qu’on n’en trouve point, ou presque point, à