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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 1.djvu/31

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rubis spinelle ; les pesanteurs de ces deux pierres sont à peu près semblables : celle du rubis balais est un peu moindre que celle du spinelle, sans doute parce que sa couleur est moins foncée. De plus, ces deux pierres cristallisent précisément de la même manière ; leurs cristaux sont des octaèdres réguliers, composés de deux pyramides à quatre faces triangulaires équilatérales opposées l’une à l’autre par leur base : le rubis d’Orient diffère beaucoup de ces pierres, non seulement par sa pesanteur, mais encore par sa forme ; ses cristaux sont formés de deux pyramides hexaèdres fort allongées, opposées l’une à l’autre par leur base, et dont les six faces de chacune sont des triangles isocèles. Voici les pesanteurs spécifiques de ces trois pierres : rubis d’Orient, 42 833 ; rubis spinelle, 37 600 ; rubis balais, 36 458[1]. » C’est aussi le sentiment d’un de nos plus grands connaisseurs en pierres précieuses[2] : l’essence du rubis spinelle et du rubis balais paraît donc être la même, à la couleur près ; leur texture est semblable, et, quoique je les aie compris dans ma Table méthodique, comme des variétés du rubis d’Orient, on doit les regarder comme des pierres dont la texture est différente.

Le rouge du rubis d’Orient très intense et d’un feu très vif ; l’incarnat, le ponceau et le pourpre y sont souvent mêlés, et le rouge foncé s’y trouve quelquefois teint par nuances de ces deux ou trois couleurs ; et, lorsque le rouge est mêlé d’orangé, on lui donne le nom de vermeille. Dans les observations que M. Hoppé a eu la bonté de me communiquer, il regarde la vermeille et le rubis balais comme des variétés du rubis spinelle ; cependant la vermeille dont je parle, étant à très peu près de la même pesanteur spécifique que le rubis d’Orient, on ne peut guère douter qu’elle ne soit de la même essence[3].

  1. Extrait de la lettre de M. Brisson à M. le comte de Buffon, datée de Paris, 16 novembre 1785.
  2. Voici ce que M. Hoppé m’a fait l’honneur de m’écrire à ce sujet : « Je prendrai, monsieur le comte, la liberté de vous observer que le rubis spinelle est d’une nature entièrement différente du rubis d’Orient ; ils sont, comme vous le savez, cristallisés différemment, et le premier est infiniment moins dur que le second. Dans le rubis d’Orient, comme dans le saphir et la topaze de la même contrée, la couleur est étrangère et infiltrée, au lieu qu’elle est partie constituante de la matière dans le rubis spinelle. Le rubis spinelle, loin d’être d’un rouge pourpre, c’est-à-dire mêlé de bleu, est au contraire d’un rouge très chargé de jaune ou écarlate, couleur que n’a jamais le rubis d’Orient dont le rouge n’approche que très rarement du ponceau, mais qui, d’un autre côté, prend assez fortement le bleu pour devenir entièrement violet, ce qui forme alors l’améthyste d’Orient. »
  3. Ayant communiqué cette réflexion à M. Hoppé, voici ce qu’il a eu la bonté de me répondre à ce sujet, par sa lettre du 6 décembre de cette année 1785 : « Je suis enchanté de voir que mes sentiments sur la nature de la pierre d’Orient ou du rubis spinelle aient obtenu votre approbation ; et si votre avis diffère du mien au sujet de la vermeille, c’est faute de m’être expliqué assez exactement dans ma lettre du 2 mai 1785, et d’avoir su que c’est au rubis d’Orient ponceau que vous donnez le nom de vermeille : je n’entends sous cette dénomination que le grenat ponceau de Bohême (qui est, selon les amateurs, la vermeille par excellence), et le rubis spinelle écarlate taillé en cabochon, que l’on qualifie alors, faussement à la vérité, de vermeille d’Orient. De cette manière, monsieur le comte, j’ai la satisfaction de vous trouver, pour le fond, entièrement d’accord avec moi, et cela doit nécessairement flatter mon amour-propre.

    » J’aurai l’honneur de vous observer encore que la plupart des joailliers s’obstinent aussi à appeler vermeille le grenat rouge jaune de Ceylan et le hiacinto-guarnacino des Italiens, lorsqu’ils sont pareillement taillés en cabochon ; mais ces deux pierres ne peuvent point entrer en comparaison pour la beauté avec la vermeille d’Orient. » Je n’ajouterai qu’un mot à cette note instructive de M. Hoppé, c’est qu’il sera toujours aisé de distinguer la véritable vermeille d’Orient de toutes ces autres pierres auxquelles on donne son nom, par sa plus grande pesanteur spécifique qui est presque égale à celle du rubis d’Orient.