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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 1.djvu/33

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émeraudes et saphirs de cette contrée : nous devons encore observer que les Asiatiques donnent le même nom aux rubis, aux topazes et aux saphirs d’Orient qu’ils appellent rubis rouges, rubis jaunes et rubis bleus[1], sans les distinguer par aucune autre dénomination particulière, ce qui vient à l’appui de ce que nous avons dit au sujet de l’essence de ces trois pierres qui est en effet la même.

Ces pierres, ainsi que les diamants, sont produites par la terre limoneuse dans les seuls climats chauds, et je regarde comme plus que suspect le fait, rapporté par Tavernier[2], sur des rubis trouvés en Bohême dans l’intérieur des cailloux creux : ces rubis n’étaient sans doute que des grenats ou des cristaux de schorl, teints d’un rouge assez vif pour ressembler par leur couleur aux rubis ; il en est probablement de ces prétendus rubis trouvés en Bohême, comme de ceux de Perse, qui ne sont aussi que des cristaux tendres et très différents des vrais rubis.

Au reste, ce n’est pas sans raisons suffisantes que nous avons mis la vermeille au nombre des vrais rubis, puisqu’elle n’en diffère que par la teinte orangée de son rouge, que sa dureté et sa densité sont les mêmes que celles du rubis d’Orient[3], et qu’elle n’a aussi qu’une seule réfraction : cependant plusieurs naturalistes ont mis ensemble la vermeille avec l’hyacinthe et le grenat ; mais nous croyons être fondés à la séparer de ces deux pierres vitreuses, non seulement par sa densité et par sa dureté plus grandes, mais encore parce qu’elle résiste au feu comme les rubis, au lieu que l’hyacinthe et le grenat s’y fondent.

Le rubis spinelle et le rubis balais doivent aussi être mis au nombre des pierres précieuses, quoique leur densité soit moindre que celle du vrai rubis ; on les trouve les uns et les autres dans les mêmes lieux, toujours isolés et jamais attachés aux rochers : ainsi

  1. Mais ce qui augmente encore plus les richesses de ce royaume, qu’on estimait avant la guerre cruelle que les Péguans ont faite aux rois d’Arakan et de Siam, sont les pierres précieuses, comme les rubis, les topazes, les saphirs, etc., que l’on y comprend sous le nom général de rubis, et que l’on ne distingue que par la couleur, en appelant un saphir, un rubis bleu ; une topaze, un rubis jaune ; ainsi des autres. La pierre qui porte proprement le nom de rubis est une pierre transparente, d’un rouge éclatant et qui, dans son extrémité ou près de sa surface, paraît avoir quelque chose du violet de l’améthyste.

    On distingue quatre sortes de rubis : le rubis, le rubicelle, le balais et le spinelle : le premier est plus estimé que les trois autres. Ils sont ordinairement ronds ou ovales, et l’on n’en trouve guère qui aient des angles ; leur valeur augmente à proportion de leur poids comme dans les diamants : le poids dont on se sert pour les estimer s’appelle ratis, il est de 3 1/2 grains ou de 7/8 de carat ; un rubis qui n’en pèse qu’un se vend 20 pagodes : un de trois, 185 ; un de quatre, 450 ; un de cinq, 525 ; un de six et demi, 920 ; mais, s’il passe ce poids et qu’il soit parfait, il n’a pas de valeur fixe. Voyages de Jean Owington ; Paris, 1725, t. II, p. 225 et suiv.

  2. Il y a aussi en Europe deux endroits d’où l’on tire des pierres de couleur ; à savoir, dans la Bohême et dans la Hongrie : en Bohême, il y a une mine où l’on trouve de certains cailloux de différente grosseur, les uns comme des œufs, d’autres comme le poing, et en les rompant, on trouve dans quelques-uns des rubis qui sont aussi beaux et aussi durs que ceux du Pégu. Je me souviens qu’étant un jour à Prague avec le vice-roi de Hongrie, avec qui j’étais alors, comme il allait avec le général Walleinstein pour se mettre à table, il vit à la main de ce général un rubis dont il loua la beauté ; mais il l’admira bien plus quand Walleinstein lui eut dit que la mine de ces pierres était en Bohême ; et de fait, au départ du vice-roi il lui fit présent d’environ une centaine de ces cailloux dans une corbeille : quand nous fûmes de retour en Hongrie, le vice-roi les fit tous rompre, et de tous ces cailloux il n’y en eut que deux dans chacun desquels on trouva un rubis ; l’un assez grand qui pouvait peser près de cinq carats, et l’autre d’un carat ou environ. Tavernier, t. IV, p. 41.
  3. La pesanteur spécifique de la vermeille est de 42 299 ; celle du rubis d’Orient, de 42 838. Tables de M. Brisson.