Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LES OISEAUX DE PROIE NOCTURNES


Les yeux de ces oiseaux sont d’une sensibilité si grande qu’ils paraissent être éblouis par la clarté du jour, et entièrement offusqués par les rayons du soleil : il leur faut une lumière plus douce, telle que celle de l’aurore naissante ou du crépuscule tombant ; c’est alors qu’ils sortent de leurs retraites pour chasser, ou plutôt pour chercher leur proie, et ils font cette quête avec grand avantage ; car ils trouvent dans ce temps les autres oiseaux et les petits animaux endormis ou prêts à l’être : les nuits où la lune brille sont pour eux les beaux jours, les jours de plaisir, les jours d’abondance, pendant lesquels ils chassent plusieurs heures de suite et se pourvoient d’amples provisions ; les nuits où la lune fait défaut son beaucoup moins heureuses, ils n’ont guère qu’une heure le soir et une heure le matin pour chercher leur subsistance ; car il ne faut pas croire que la vue de ces oiseaux, qui s’exerce si parfaitement à une faible lumière, puisse se passer de toute lumière, et qu’elle perce en effet dans l’obscurité la plus profonde ; dès que la nuit est bien close ils cessent de voir, et ne diffèrent pas à cet égard des autres animaux, tels que les lièvres, les loups, les cerfs, qui sortent le soir des bois pour repaître ou chasser pendant la nuit : seulement ces animaux voient encore mieux le jour que la nuit ; au lieu que la vue des oiseaux nocturnes est si fort offusquée pendant le jour qu’ils sont obligés de se tenir dans le même lieu sans bouger, et que, quand on les force à en sortir, ils ne peuvent faire que de très petites courses, des vols courts et lents de peur de se heurter ; les autres oiseaux, qui s’aperçoivent de leur crainte ou de la gêne de leur situation, viennent à l’envi les insulter : les mésanges, les pinsons, les rouges-gorges, les merles, les geais, les grives, etc., arrivent à la file : l’oiseau de nuit perché sur une branche, immobile, étonné, entend leurs mouvements, leurs cris qui redoublent sans cesse, parce qu’ils n’y répond que par des gestes bas, en tournant sa tête, ses yeux et son corps d’un air ridicule ; il se laisse même assaillir et frapper sans se défendre ; les plus petits, les plus faibles de ses ennemis sont les plus ardents à le tourmenter, les plus opiniâtres à le huer : c’est sur cette espèce de jeu de moquerie ou d’antipathie naturelle qu’est fondé le petit art de la pipée ; il suffit de placer un oiseau nocturne ou même d’en contre-