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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/24

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peut être l’ouvrage d’un seul homme, ni même celui de plusieurs hommes dans le même temps, parce que non seulement le nombre des choses qu’on ignore est bien plus grand que celui des choses que l’ont sait, mais encore parce que ces mêmes choses qu’on ignore sont presque impossibles ou du moins très difficiles à savoir ; et que d’ailleurs comme la plupart sont petites, inutiles ou de peu de conséquence, les bons esprits ne peuvent manquer de les dédaigner, et cherchent à s’occuper d’objets plus grands ou plus utiles.

C’est par toutes ces considérations que j’ai cru devoir me former un plan différent pour l’histoire des oiseaux de celui que je me suis proposé, et que j’ai tâché de remplir pour l’histoire des quadrupèdes ; au lieu de traiter les oiseaux un à un, c’est-à-dire par espèces distinctes et séparées, je les réunirai plusieurs ensemble sous un même genre, sans cependant les confondre et renoncer à les distinguer lorsqu’elles pourront l’être ; par ce moyen j’ai beaucoup abrégé, et j’ai réduit à une assez petite étendue cette histoire des oiseaux, qui serait devenue trop volumineuse, si d’un côté j’eusse traité de chaque espèce en particulier en me livrant aux discussions de la nomenclature, et que d’autre côté je n’eusse pas supprimé, par le moyen des couleurs, la plus grande partie du long discours qui eût été nécessaire pour chaque description. Il n’y aura donc guère que des oiseaux domestiques et quelques espèces majeures, ou particulièrement remarquables, que je traiterai par articles séparés. Tous les autres oiseaux, surtout les plus petits, seront réunis avec les espèces voisines et présentés ensemble comme étant à peu près du même naturel et de la même famille ; le nombre des affinités, comme celui des variétés, est toujours d’autant plus grand que les espèces sont plus petites. Un moineau, une fauvette, ont peut-être chacun vingt fois plus de parents que n’en ont l’autruche ou le dindon ; j’entends par le nombre de parents le nombre des espèces voisines et assez ressemblantes pour pouvoir être regardées comme des branches collatérales d’une même tige, ou d’une tige si voisine d’une autre qu’on peut leur supposer une souche commune, et présumer que toutes sont originairement issues de cette même souche à laquelle elles tiennent encore par ce grand nombre de ressemblances communes entre elles ; et ces espèces voisines ne sont probablement séparées les unes des autres que par les influences du climat, de la nourriture, et par la succession du temps, qui amène toutes les combinaisons possibles, et met au jour tous les moyens de variété, de perfection, d’altération et de dégénération[NdÉ 1].

Ce n’est pas que nous prétendions que chacun de nos articles ne con-

  1. La fin de cet alinéa est très remarquable. Buffon y montre bien le sens qu’il attache au mot « espèce ». Il comprend que les espèces voisines sont issues les unes des autres, et que les différences qui les distinguent sont déterminées par l’action des milieux. Buffon peut, à ce titre, être considéré comme un précurseur de Lamarck et des transformistes.