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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/343

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clairement par les changements qui arrivent à la suite de leur extirpation. Cette opération se fait communément aux poulets qui ont trois ou quatre mois ; celui qui la subit prend désormais plus de chair, et sa chair, qui devient plus succulente et plus délicate, donne au chimiste des produits différents de ceux qu’elle eût donnés avant la castration[1] ; il n’est presque plus sujet à la mue, de même que le cerf, qui est dans le même cas, ne quitte plus son bois ; il n’a plus le même chant, sa voix devient enrouée, et il ne la fait entendre que rarement : traité durement par les coqs, avec dédain par les poules, privé de tous les appétits qui ont rapport à la reproduction, il est non seulement exclu de la société de ses semblables, il est encore, pour ainsi dire, séparé de son espèce ; c’est un être isolé, hors d’œuvre, dont toutes les facultés se replient sur lui-même, et n’ont pour but que sa conservation individuelle ; manger, dormir et s’engraisser, voilà désormais ses principales fonctions et tout ce qu’on peut lui demander. Cependant, avec un peu d’industrie, on peut tirer parti de sa faiblesse même et de sa docilité qui en est la suite, en lui donnant des habitudes utiles, celle, par exemple, de conduire et d’élever les jeunes poulets ; il ne faut pour cela que le tenir pendant quelques jours dans une prison obscure, ne l’en tirant qu’à des heures réglées pour lui donner à manger, et l’accoutumant peu à peu à la vue et à la compagnie de quelques poulets un peu forts ; il prendra bientôt ces poulets en amitié, et les conduira avec autant d’affection et d’assiduité que le ferait leur mère ; il en conduira même plus que la mère, parce qu’il en peut réchauffer sous ses ailes un plus grand nombre à la fois. La mère poule, débarrassée de ce soin, se remettra plus tôt à pondre[2], et de cette manière les chapons, quoique voués à la stérilité, contribueront encore indirectement à la conservation et à la multiplication de leur espèce.

Un si grand changement dans les mœurs du chapon, produit par une cause si petite et si peu suffisante en apparence, est un fait d’autant plus remarquable qu’il est confirmé par un très grand nombre d’expériences que les hommes ont tentées sur d’autres espèces, et qu’ils ont osé étendre jusque sur leurs semblables.

On a fait sur les poulets un essai beaucoup moins cruel, et qui n’est peut-être pas moins intéressant pour la physique : c’est, après leur avoir emporté la crête[3], comme on fait ordinairement, d’y substituer un de leurs éperons

  1. L’extrait tiré de la chair du chapon dégraissé est un peu moins du quatorzième du poids total, au lieu qu’il en fait un dixième dans le poulet et un peu plus du septième dans le coq ; de plus, l’extrait de la chair du coq est très sec, au lieu que celle du chapon est difficile à sécher. Voyez Mém. de l’Acad. royale des Sciences, ann. 1730, p. 231.
  2. Voyez Pratique de faire éclore les œufs, etc., p. 98.
  3. La raison qui semble avoir déterminé à couper la crête aux poulets qu’on fait devenir chapons, c’est qu’après cette opération, qui ne l’empêche pas de croître, elle cesse de se tenir droite, elle devient pendante comme celle des poules, et, si on la laissait, elle les incommoderait en leur couvrant un œil.