Aller au contenu

Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur vivre[1] ; et en effet elles doivent consommer beaucoup et avoir plus de besoins que les poules domestiques, vu le peu de longueur de leurs intestins.

Il paraît, par le témoignage des anciens[2] et des modernes[3], et par les demi-membranes qui unissent les doigts des pieds, que la peintade est un oiseau demi-aquatique : aussi celles de Guinée, qui ont recouvré leur liberté à Saint-Domingue, ne suivant plus que l’impulsion du naturel, cherchent de préférence les lieux aquatiques et marécageux[4].

Si on les élève de jeunesse, elles s’apprivoisent très bien. Brue raconte qu’étant sur la côte du Sénégal, il reçut en présent d’une princesse du pays deux peintades, l’une mâle et l’autre femelle, toutes deux si familières qu’elles venaient manger sur son assiette, et qu’ayant la liberté de voler au rivage, elles se rendaient régulièrement sur la barque au son de la cloche qui annonçait le dîner et le souper[5]. Moore dit qu’elles sont aussi farouches que le sont les faisans en Angleterre[6] ; mais je doute qu’on ait vu des faisans aussi privés que les deux peintades de Brue ; et ce qui prouve que les peintades ne sont pas fort farouches, c’est qu’elles reçoivent la nourriture qu’on leur présente au moment même où elles viennent d’être prises[7]. Tout bien considéré, il me semble que leur naturel approche beaucoup plus de celui de la perdrix que de celui du faisan.

La poule peintade pond et couve à peu près comme la poule commune ; mais il paraît que sa fécondité n’est pas la même en différents climats, ou du moins qu’elle est beaucoup plus grande dans l’état de domesticité, où elle regorge de nourriture, que dans l’état de sauvage, où, étant nourrie moins largement, elle abonde moins en molécules organiques superflues.

On m’a assuré qu’elle est sauvage à l’île de France, et qu’elle y pond huit, dix et douze œufs à terre dans les bois, au lieu que celles qui sont domestiques à Saint-Domingue, et qui cherchent aussi le plus épais des haies et des broussailles pour y déposer leurs œufs, en pondent jusqu’à cent et cent cinquante, pourvu qu’il en reste toujours quelqu’un dans le nid[8].

Ces œufs sont plus petits à proportion que ceux de la poule ordinaire,

  1. M. de Sève a observé, en jetant du pain à des peintades, que lorsqu’une d’entre elles prenait un morceau de pain plus gros qu’elle ne pouvait l’avaler tout de suite, elle remportait en fuyant les paons et les autres volailles qui ne voulaient pas la quitter ; et que, pour s’en débarrasser, elle cachait le morceau de pain dans du fumier ou dans de la terre, où elle venait le chercher et le manger quelque temps après.
  2. Pline, Historia naturalis, lib. xxxvii, cap. ii. — Clitus de Milet dans Athénée, lib. xiv, cap. xxvi.
  3. Gesner, de Avibus, p. 478. — Frisch, pl. cxxviLettres édifiantes, Recueil XX, etc.
  4. Lettres édifiantes, ibidem. — J’entrai dans un petit bosquet, auprès d’un marais, qui attirait des compagnies de peintades, dit M. Adanson, p. 76 de son Voyage au Sénégal.
  5. Troisième voyage de Brue, publié par Labat.
  6. Voyez Histoire générale des voyages, t. III, p. 310.
  7. Longolius apud Gesnerum, p. 479.
  8. Lettres édifiantes, Recueil XX.