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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/440

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et la Jamaïque, où l’on en voit beaucoup aujourd’hui[1] et où avant cela il n’y en avait pas un seul, par une suite de la loi générale du climat, qui exclut du nouveau monde tout animal terrestre, attaché par sa nature aux pays chauds de l’ancien continent, loi à laquelle les oiseaux pesants ne sont pas moins assujettis que les quadrupèdes : or, l’on ne peut nier que les paons ne soient des oiseaux pesants, et les anciens l’avaient fort bien remarqué[2]. Il ne faut que jeter un coup d’œil sur leur conformation extérieure pour juger qu’ils ne peuvent pas voler bien haut ni bien longtemps ; la grosseur du corps, la brièveté des ailes et la longueur embarrassante de la queue sont autant d’obstacles qui les empêchent de fendre l’air avec légèreté : d’ailleurs les climats septentrionaux ne conviennent point à leur nature, et ils n’y restent jamais de leur plein gré[3].

Le coq paon n’a guère moins d’ardeur pour ses femelles, ni guère moins d’acharnement à se battre avec les autres mâles que le coq ordinaire[4] ; il en aurait même davantage, s’il était vrai ce qu’on en dit, que, lorsqu’il n’a qu’une ou deux poules il les tourmente, les fatigue, les rend stériles à force de les féconder, et trouble l’œuvre de la génération à force d’en répéter les actes : dans ce cas, les œufs sortent de l’oviductus avant qu’ils aient eu le temps d’acquérir leur maturité[5]. Pour mettre à profit cette violence de tempérament, il faut donner au mâle cinq ou six femelles[6] ; au lieu que le coq ordinaire, qui peut suffire à quinze ou vingt poules, s’il est réduit à une seule, la féconde encore utilement et la rend mère d’une multitude de petits poussins.

Les paonnes ont le tempérament fort lascif et, lorsqu’elles sont privées de mâles, elles s’excitent entre elles, et en se frottant dans la poussière (car ce sont oiseaux pulvérateurs) ; et, se procurant une fécondité imparfaite, elles pondent des œufs clairs et sans germe, dont il ne résulte rien de vivant ; mais cela n’arrive guère qu’au printemps, lorsque le retour d’une chaleur douce et vivifiante réveille la nature et ajoute un nouvel aiguillon au penchant qu’ont tous les êtres animés à se reproduire ; et c’est peut-être par cette

  1. Voyez l’Histoire de Saint-Domingue de Charlevoix, t. Ier, p. 28-32 ; et la Synopsis Avium de Ray, p. 183.
  2. « Nec sublimiter possunt nec per longa spatia volare. » Columelle, de Re rusticâ, lib. viii, cap. xi.
  3. « Habitat apud nostrates rarius, præsertim in aviariis magnatum, non vero sponte. » Linnæus, Fauna suecica, p. 60.
  4. Voyez Columelle, de Re rusticâ, lib. viii, cap. xi.
  5. « Quinque gallinas desiderat ; nam si unam aut alteram fœtam sæpius compressent, vixdum concepta, in alvo vitiat ova, nec ad partum sinit perduci, quoniam immatura genitalibus locis excedunt. » Columelle, de Re rusticâ, lib. viii, cap. xi.
  6. Je donne ici l’opinion des anciens ; car des personnes intelligentes que j’ai consultées, et qui ont élevé des paons en Bourgogne, m’ont assuré, d’après leur expérience, que les mâles ne se battaient jamais, et qu’il ne fallait à chacun qu’une ou deux femelles au plus ; et peut-être cela n’arrive-t-il qu’à cause de la moindre chaleur du climat.