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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/46

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Le naturel et les mœurs dépendent beaucoup des appétits : en comparant donc à cet égard les oiseaux aux quadrupèdes, il me paraît que l’aigle, noble et généreux, est le lion ; que le vautour, cruel, insatiable, est le tigre ; le milan, la buse, le corbeau, qui ne cherchent que les vidanges et les chairs corrompues, sont les hyènes, les loups et les chacals ; les faucons, les éperviers, les autours et les autres oiseaux chasseurs, sont les chiens, les renards, les onces et les lynx ; les chouettes, qui ne voient et ne chassent que la nuit, seront les chats ; les hérons, les cormorans, qui vivent de poissons, seront les castors et les loutres ; les pics seront les fourmiliers, puisqu’ils se nourrissent de même en tirant également la langue pour la charger de fourmis. Les paons, les coqs, les dindons, tous les oiseaux à jabot représentent les bœufs, les brebis, les chèvres et les autres animaux ruminants ; de manière qu’en établissant une échelle des appétits, et présentant le tableau des différentes façons de vivre, on retrouvera dans les oiseaux les mêmes rapports et les mêmes différences que nous avons observées dans les quadrupèdes, et même les nuances en seront peut-être plus variées ; par exemple, les oiseaux paraissent avoir un fonds particulier de subsistance, la nature leur a livré, pour nourriture, tous les insectes que les quadrupèdes dédaignent : la chair, le poisson, les amphibies, les reptiles, les insectes, les fruits, les grains, les semences, les racines, les herbes, tout ce qui vit ou végète devient leur pâture ; et nous verrons qu’ils sont assez indifférents sur le choix, et que souvent ils suppléent à l’une des nourritures par une autre. Le sens du goût, dans la plupart des oiseaux, est presque nul, ou du moins fort inférieur à celui des quadrupèdes ; ceux-ci, dont le palais et la langue sont, à la vérité, moins délicats que dans l’homme, ont cependant ces organes plus sensibles et moins durs que les oiseaux, dont la langue est presque cartilagineuse ; car, de tous les oiseaux, il n’y a guère que ceux qui se nourrissent de chair dont la langue soit molle et assez semblable, pour la substance, à celle des quadrupèdes. Ces oiseaux auront donc le sens du goût meilleur que les autres, d’autant qu’ils paraissent aussi avoir plus d’odorat, et que la finesse de l’odorat supplée à la grossièreté du goût ; mais, comme l’odorat est plus faible et le tact du goût plus obtus dans tous les oiseaux que dans les quadrupèdes, ils ne peuvent guère juger des saveurs : aussi voit-on que la plupart ne font qu’avaler sans jamais savourer ; la mastication, qui fait une grande partie de la jouissance de ce sens, leur manque ; il sont, par toutes ces raisons, si peu délicats sur les aliments que quelquefois ils s’empoisonnent en voulant se nourrir[1].

  1. Le persil, le café, les amandes amères, etc., sont un poison pour les poules, les perroquets et plusieurs autres oiseaux, qui néanmoins les mangent avec autant d’avidité que les autres nourritures qu’on leur offre.